
En droit constitutionnel français, une dĂ©claration de politique gĂ©nĂ©rale est un acte par lequel le Premier ministre engage la responsabilitĂ© du gouvernement devant l’AssemblĂ©e nationale ou bien demande une approbation au SĂ©nat, en prĂ©sentant son programme de gouvernement. Sous la Ve RĂ©publique, l’usage veut que, aprĂšs leur nomination, les Premiers ministres se prĂ©sentent devant les dĂ©putĂ©s et les sĂ©nateurs pour exposer de maniĂšre solennelle les grands axes de leurs programmes de gouvernement et les principales mesures qu’ils souhaitent mettre en oeuvre (art. 50-1 de la constitution). En revanche, le Gouvernement nâest pas dans lâobligation de solliciter la confiance du Parlement. Mme Borne, comme certains de ses lointains prĂ©dĂ©cesseurs, dont le plus emblĂ©matique est sans doute Michel Rocard, nâayant pas de majoritĂ© absolue, nâa pas engagĂ© la responsabilitĂ© de son gouvernement comme peut le permettre lâarticle 49-1 de notre constitution.
Elle a rappelĂ© quelques grands principes dâaction, a insistĂ© au niveau de la mĂ©thode sur la nĂ©cessaire concertation et nâa guĂšre rassurĂ© quant au non moins nĂ©cessaire redressement de nos comptes publics. Chacun portera le regard quâil souhaite sur sa dĂ©claration. Je me fĂ©licite quâelle ait soulignĂ© la place et lâimportance du SĂ©nat dans lâĂ©quilibre de nos institutions.

Le message de la PremiĂšre Ministre a Ă©tĂ© lu au SĂ©nat par Bruno le Maire, numĂ©ro 2 du Gouvernement, pendant que la PremiĂšre Ministre le prononçait Ă lâAssemblĂ©e Nationale. Elisabeth Borne est venu ensuite en soirĂ©e prĂ©senter ses grands thĂšmes dâaction au SĂ©nat avant que les PrĂ©sidents de Groupe ne lui rĂ©pondent. Sa prestation avait davantage de souffle et de conviction que celle lue par son Ministre.
Ce discours sâinscrit dans un contexte qui nous oblige et nous engage, notamment pour garantir notre souverainetĂ© et assurer la transition Ă©cologique, mais aussi pour faire face Ă la situation internationale que nous connaissons. Que retenir de ce discours?
Pour ma part, jâai voulu vous faire partager

thĂšmes majeurs qui en ressortent.

Les mots « ensemble », « bĂątir », « compromis », « concertation », « crĂ©ation de commissions transpartisanes »⊠ont Ă©tĂ© les plus utilisĂ©s dans le discours de la PremiĂšre Ministre. Il sâagissait donc de montrer la volontĂ© dâĂ©couter, de concerter, de travailler avec les corps intermĂ©diaires, les Ă©lus locaux, les oppositions constructivesâŠ. Montrant par lĂ , la volontĂ© de changer de methode, peut-ĂȘtre sous la contrainte du moment, par rapport au prĂ©cĂ©dent quinquennat qui fut trĂšs vertical, Mme Borne a laissĂ© entendre que sa porte Ă©tait ouverte. A voir si la rĂ©alitĂ© de lâaction correspondra Ă cet appel, mais saisissons la main tendue pour la France et les Français si elle peut ĂȘtre saisie sans se renier et au contraire pour rĂ©pondre aux attentes dans le respect des valeurs et dâun corpus programmatique. Nous verrons vite si cette invite est rĂ©elle et sincĂšre. La perspective du retour du Conseiler territorial, sur laquelle je me suis rĂ©cemment positionnĂ© (voir article du Journal des dĂ©partements), a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e et une commission transpartisane sur les institutions va y travailler.

Les principaux engagements pris par la PremiĂšre Ministre sont les suivants:

Le premier dĂ©fi est lâurgence du pouvoir dâachat.

Les deux clés majeures sont le plein emploi et la transition écologique.

Les trois principes dâaction sont la responsabilitĂ© environnementale, la responsabilitĂ© budgĂ©taire (RĂ©duction de la dette en 2026 ! Retour Ă un dĂ©ficit infĂ©rieur Ă 3%!. Cela semble bien lointainâŠ) et le respect de lâengagement de ne pas augmenter les impĂŽts.

Deux vĂ©ritables annonces nouvelles, mĂȘme si elles Ă©taient dâautant plus attendues que pour la premiĂšre elle est inĂ©luctable et que pour la seconde elle avait Ă©tĂ© adoptĂ©e par le SĂ©nat et que le prĂ©cĂ©dent gouvernement lâavait rejetĂ©e :

La nationalisation dâEDF,

La deconjugalisation de lâAAH (Allocation Adulte HandicapĂ©).

Les grands thĂšmes abordĂ©s avec les principales annonces qui sây rapportent sont les suivants :

Les mesures en faveur du pouvoir dâachat. Le projet de loi sera prĂ©sentĂ© demain matin en conseil des ministres et devrait prĂ©voir : plafonnement des loyers, maintien du bouclier tarifaire pour les carburants et lâĂ©lectricitĂ©, mesures pour les gros rouleurs, revalorisation des minima sociaux et des pensions, revalorisation du point dâindice des fonctionnairesâŠ

Des rĂ©ductions dâimpĂŽts : suppression de la redevance audiovisuelle, diminution des impĂŽts de production (suppression de la CVAE).

Des mesures pour lâemploi : formation professionnelle, contrepartie dâactivitĂ© pour les bĂ©nĂ©ficiaires du RSA, dĂ©verrouillage de lâapprentissage, crĂ©ation de France Travail (Ă la place de PĂŽle Emploi).

Maintien de lâobjectif de rĂ©forme de la retraite.

Loi dâorientation Ă©nergie – climat avec des objectifs de rĂ©duction des Ă©missions des gaz Ă effet de serre filiĂšre par filiĂšre, des investissements dans le nuclĂ©aires et dans les Ă©nergies renouvelables, un accĂšs au vĂ©hicule Ă©lectrique pour 100⏠par mois, la prorogation de ma PrimâRenov, la prioritĂ© accordĂ©e au ferroviaire.

CrĂ©ation dâun service public de la petite enfance.

Revalorisation du mĂ©tier dâenseignant, approche territoriale de la santĂ© et action en faveur de la prise en compte de la dĂ©pendance avec un vrai service public du grand Ăąge.

Loi dâorientation et de programmation du ministĂšre de lâintĂ©rieur pour agir en faveur de la sĂ©curitĂ©, Loi de programmation pour la justice, Loi dâorientation et dâavenir pour lâagriculture en lien avec les enjeux de ce secteur essentiel (rĂ©munĂ©ration, renouvellement des gĂ©nĂ©rations, Ă©quilibre environnementalâŠ), Nouvelle loi de programmation militaire, âŠ

Les limites ou les angles morts de ce discours sont aussi nombreux et ne manquent pas dâinquiĂ©ter quant Ă la rĂ©elle prise en compte des enseignements des Ă©lections rĂ©centes, notamment pour nos territoires ruraux, mais aussi quant aux enjeux budgĂ©taires et financiers.
Parmi ceux-ci, on peut notamment citer :

Lâabsence de rĂ©ponses volontaristes pour faire face aux dĂ©serts mĂ©dicaux (on ne peut tout renvoyer Ă la prĂ©vention !). Sur ce point, nous proposerons notre texte pour la mise en place de 3000 mĂ©decins juniors sur les territoires.

La justice territoriale, lâannonce de la diffĂ©renciation territoriale, lâadaptation de la rĂšgle commune, le maintien des services publics ⊠qui ne sont pour lâheure que des mots et ne rĂ©pondent pas Ă nos besoins. LĂ aussi, on ne lĂąchera rien. Jâai dĂ©jĂ saisi le Ministre de la transition Ă©cologique et de la cohĂ©sion territoriale Ă cet effet et jâai apprĂ©ciĂ© Ă ce titre les premiers mots de Mme Borne qui doit garantir lâĂ©galitĂ© des chances.

Une vraie rĂ©forme des finances publiques locales et de la fiscalitĂ© locale pour garder autonomie et responsabilitĂ© par delĂ les mesures conjoncturelles qui pourraient ĂȘtre apportĂ©es dans le contexte inflation que nos collectivitĂ©s connaissent aussi.

Les paradoxes entre la dĂ©fense et la revalorisation de nos productions industrielles comme agricoles, versus le maintien dâune ouverture europĂ©enne des marchĂ©s. LâEurope doit renforcer nos souverainetĂ©s et non les mettre en pĂ©ril. Le paradoxe dâun accord de libre Ă©change signĂ© avec la Nouvelle ZĂ©lande alors mĂȘme que nous affirmons que nous voulons protĂ©ger nos agriculteurs. Sortons du « en mĂȘme temps » qui nâest quâune confusion âŠ

Lâabsence de rĂ©elles Ă©conomies ou de vraies pistes pour permettre de rĂ©pondre aux enjeux de la situation trĂšs dĂ©gradĂ©e de nos finances publiques qui peut trĂšs vite fortement nous contraindre. La Cour des comptes a encore soulignĂ© la dĂ©gradation de nos comptes en dehors du « quoi quâil en coĂ»te », qui a de plus donnĂ© le sentiment quâil Ă©tait possible de vivre sans travailler. Nous avons besoin de plus de travail et de mieux rĂ©munĂ©rer le travail.

Ce discours reste un exercice imposĂ© qui pose des jalons, y compris lĂ oĂč jusquâalors il nây avait pas de volontĂ©, mĂšme sâil nâavait pas le souffle de certains autres qui sâinscrivaient toutefois souvent dans un contexte inĂ©dit.
Pour autant la situation exige de chercher un chemin constructif pour la France et pour les Français.
Il convient toutefois de sâassurer que le gouvernement avance avec sincĂ©ritĂ©, Ă©coute, loyautĂ© et volontarisme. Si tel est le cas, nous saurons, comme nous lâavons toujours fait au SĂ©nat, et comme nous devons le faire aujourdâhui plus encore, sans compromission mais avec fermetĂ©, ĂȘtre constructif et exigeant, nous saurons chercher lâapaisement sans reniement.
LâidĂ©al serait dans ce cadre de bĂątir une feuille de route autour dâun corpus indiquant clairement nos lignes rouges dâune part et nos 10 prioritĂ©s fortes que lâon veut voir aboutir dâautre part, au premier rang desquelles lâinstauration de rĂ©ponses diffĂ©renciĂ©es pour nos territoires ruraux et la lisibilitĂ© financiĂšre pour nos communes.
« Le Sénat ne dit jamais oui par discipline et jamais non par dogmatisme », comme aime à le rappeler
Gérard Larcher.

« BĂątir ensemble », tel est le message essentiel dĂ©livrĂ© par Elisabeth Borne, souhaitons que les actes suivent les engagements. Faisons-en le pari, sans nous trahir, pour Ă©viter une crise politique, des clivages et des fractures accrus, pour rĂ©parer la sociĂ©tĂ© française, pour relier les français, dans une opposition « dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral », en dĂ©bureaucratisant, en sortant de la communication pour revenir Ă la politique et en Ă©coutant le peuple.
« Lâhonneur de la politique câest la force des convictions », a rappelĂ© Bruno Retailleau.
En fait câest une question de courage !