🏛️ Dimanche au Sénat pour poursuivre le débat sur les retraites… ➡️ Envie de parler de la jeunesse au lendemain du 40eme anniversaire de la mort d’Hergé, le père de Tintin symbole de l’éternelle jeunesse…
➡️ Jacques Attali a publié vendredi un billet intitulé : « Attention au syndrome de Stefan Zweig ». Il pointe une question majeure. Depuis longtemps, je pense que la jeunesse devrait être au cœur de nos politiques publiques : éducation bien sur, accès à l’emploi et au logement… Mais aussi en réorientant les missions du CESE vers celles d’une instance qui analyserait nos décisions à l’aune de leur incidence à 30 ou 50 ans, donc en fait aux incidences qu’elles génèrent pour la jeunesse d’aujourd’hui. Si on l’avait fait, on aurait sans doute éviter bien des erreurs sur le nucléaire, l’environnement, l’endettement du pays…
➡️ Les conséquences du Covid et le décrochage généré pour notre jeunesse sont venus accélérer un phénomène sur lequel Jacques Attali attire notre attention. Je le cite :
💬 « Ce qui se passe aux Etats-Unis est toujours, pour le reste du monde, doublement fondamental : d’abord parce que c’est la première puissance du monde, et qu’elle va le rester longtemps encore. Ensuite, parce que les évolutions de sa société, de sa musique, de ses moeurs, de ses modes, de ses technologies, de ses disputes intellectuelles ou politiques, se retrouvent en général un peu plus tard, dans le reste du monde. Ce que vit la jeunesse américaine, en particulier, est souvent ce qui attend les autres jeunesses du monde. On l’a vu tout au long du XXe siècle, et encore très récemment avec le « wokisme », qui y a pris sa source avant de se répandre ailleurs, pour de très bonnes raisons, et avec aussi quelques conséquences désastreuses.
💬 Aujourd’hui, une évolution bien plus essentielle encore de ce qui se joue en ce moment dans la jeunesse américaine n’attire pas assez l’attention du reste du monde. Comme l’a relevé dans un article récent l’historien anglais Niall Ferguson, la jeunesse américaine est au bord du suicide. En voici la preuve : 11,5 % des jeunes Américains entre 12 et 17 ans « traversent une dépression qui réduit sévèrement leur capacité à vivre » et 17,5 % d’entre eux ont subi aussi un épisode dépressif l’année précédente. Et cela s’aggrave : on a pu mesurer une augmentation en moins de dix ans de 27 % de l’anxiété et de 24 % de l’état dépressif chez les jeunes Américains de moins de 20 ans.
💬 Plus incroyable encore, un enfant américain sur six entre 2 et 8 ans a été diagnostiqué avec un désordre mental, comportemental ou de développement. Entre 2011 et 2021 (dernière année d’enquête disponible) la proportion des lycéens américains expérimentant un sentiment persistant de tristesse ou de désespoir est passée de 28 % à 42 %. Et la proportion de ceux qui envisagent de se suicider est passée de 16 % à 22 % ; la proportion de ceux qui ont attenté à leur vie est passée de 8 % à 10 % ; autrement dit : un collégien ou lycéen américain sur dix a tenté de se suicider. On comprend mieux pourquoi ils sont aussi nombreux à consommer toutes sortes de drogues, à commettre toutes sortes de violences, à fuir de toutes les façons possibles. Il y a sans doute mille raisons à tout cela ; pour moi, la principale est que le monde que les adultes américains s’apprêtent à laisser à leurs enfants ne leur convient pas : une augmentation massive de la température, des ouragans et des tempêtes ; une inégalité écrasante, qui réserve de plus en plus les richesses aux enfants des riches, qui ne vont plus aux mêmes écoles qu’eux et qui forment désormais une caste presque totalement fermée. Un avenir bouché, où le rêve américain a disparu.
💬 Au lieu de se révolter, de faire de la politique, de tenter de réussir (ce que font encore, avec bonheur, certains d’entre eux) ils sont donc de plus en plus nombreux à choisir ce que je nomme ici le « syndrome de Stefan Zweig », en référence à cet immense écrivain viennois, qui se pensant pourchassé par les nazis, et convaincu de la fin irréversible de la culture et de la civilisation européenne, qu’il incarnait si bien, et de la victoire définitive, en Europe au moins, du totalitarisme hitlérien et stalinien, entra dans une profonde dépression et se suicida, au Brésil, avec sa compagne, en février 1942 ; deux mois après la déroute de Pearl Harbour et au moment où les armées de l’Axe semblaient triomphantes sur tous les fronts. Si tous, dans les démocraties encore au combat, avaient pensé et agi comme lui, son pronostic serait devenu réalité.
💬 C’est sans doute la même chose qui se joue ici : une grande partie de la jeunesse américaine est entrée en dépression et pense au suicide, parce que personne ne semble la convaincre qu’un avenir juste, avec un climat maîtrisé, dans une société bienveillante pour chacun, est encore possible. On peut les comprendre quand on observe les petits jeux des politiques et les égoïsmes des riches, dans des démocraties à la dérive face à des totalitarismes cyniques, barbares et convaincus d’être là pour mille ans – comme Hitler l’était. Prenons garde que cette épidémie ne nous touche.
💬 Rien n’est plus urgent que de donner aux jeunes, en Amérique comme en France, une perspective crédible, de leur faire comprendre que si la bataille pour la survie de l’humanité n’est pas gagnée, elle peut l’être. Et qu’ils peuvent y contribuer. Encore faudrait-il des chefs de guerre capables de donner de l’espoir et d’avoir une stratégie pour le justifier. »💬
➡️ Cette question me semble bien plus majeure que la micro-réforme des retraites dont nous débattons, avec une obstruction parlementaire, qui même si elle n’a pas la violence de celle de l’Assemblée Nationale, n’en demeure pas moins une limite de notre régime démocratique. Il faut bien sûr faire une réforme de notre système de retraite, ne serait-ce que pour ne pas alourdir encore davantage nos déficits et faire que les jeunes d’aujourd’hui et de demain, ne cotisent pas en vain et seulement pour les « vieux d’aujourd’hui ». Mais en débattant d’un modèle de société et non de milliers de micro-amendements identiques qui n’ont qu’un intérêt limité, avec des prises de paroles répétitives, souvent hors sujet, qui n’ont pour but que de faire durer le débat… J’y reviendrai par ailleurs.
➡️ … L’insouciance, l’engagement, les vertus de Tintin nous font bien défaut. En tintinophile amateur, je me permets cette digression dominicale au lendemain du 40eme anniversaire de la mort d’Hergé.
➡️ Sa curiosité le pousse à tenter d’élucider toutes sortes de mystères. Courageux, il prend toujours la défense des faibles et n’hésite jamais à défendre des enfants ou à sauver des vies au péril de la sienne. Il manifeste également une grande fidélité envers ses amis et est toujours prêt à pardonner. Un côté amusant de Tintin est sa capacité à manipuler ses amis. Il n’utilise toutefois la manipulation que pour ramener ses amis sur le chemin de la morale ou pour les ramener à un but qu’ils s’étaient fixé ensemble. De plus, il est d’un tempérament calme et posé, préférant analyser la situation avant d’agir. Il est maître de lui et ne s’est que rarement énervé.
➡️ Tintin est en somme un archétype du jeune héros sans défaut ni tentation, avec bien-sûr les limites de son époque. Hergé a cependant joint à son héros un personnage qui, lui, connaît les affres de la tentation : Milou, son compagnon canin. Enfin, les travers de l’être humain, avec les erreurs et la rédemption, les rechutes et les actes de courage, les interrogations et les faiblesses sont généralement incarnés par le personnage du capitaine Haddock, lorsque ce n’est pas Milou confronté à la tentation entre le bien et le mal ou le plaisir et le devoir, tandis que Tintin reste le héros immaculé. Tintin n’a d’ailleurs jamais tué l’un de ses adversaires ; s’il fait occasionnellement usage d’armes à feu, c’est toujours pour se défendre, et il se contente de neutraliser ses ennemis en les blessant.
➡️ L’œuvre d’Hergé pose aujourd’hui encore à notre société des questions majeures, ouvre des débats philosophiques et politiques plus profonds et en toute hypothèse plus abordables que bien des ouvrages savants.
➡️ Mettre en lumière l’importance exceptionnelle de l’œuvre d’Hergé dans l’histoire artistique et culturelle du XXe siècle, et mesurer le caractère mythique et universel des « Aventures de Tintin » et leurs prolongements dans l’imaginaire contemporain, a d’ailleurs fait l’objet d’un ouvrage, issu du colloque international « Tintin au XXIe siècle », ayant réuni scientifiques et tintinophiles. Ces travaux envisagent la traversée du siècle du voyageur reporter sous l’angle des territoires, des temporalités, de l’art et des métamorphoses. Elles démontrent que l’œuvre fondatrice d’Hergé a irrigué toutes les disciplines et épousé pléthore de formats, de médias.
➡️ Et puis surtout, j’envie tous ceux, jeunes ou vieux, qui ont pu se plonger dans un album de Tintin en ce dimanche après-midi…