Comment remettre la SNCF sur rail ? Modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire : il est grand temps d’agir.

14 mars 2022
▶️ La commission des finances a examiné, ce mercredi 9 mars 2022, la communication de mon collègue Hervé Maurey et de moi-même, en qualité de rapporteurs spéciaux de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sur notre contrôle budgétaire concernant la situation financière et les perspectives de la SNCF. Derrière les répercussions de la crise sanitaire se cachent en réalité des difficultés beaucoup plus structurelles de la SNCF et du secteur ferroviaire dont les modèles économiques sont dans l’impasse.
Pourquoi nous parait-il urgent de remettre sur rail la SNCF ?
▶️ Loin de nous l’idée de nier l’ampleur de la crise sanitaire mais elle n’explique pas à elle seule les difficultés financières de la SNCF et plus particulièrement celles de son cœur ferroviaire. Aussi, nous avons souhaité nous intéresser à la situation structurelle de la SNCF. Il nous est apparu que la réforme de 2018 n’est pas suffisante pour assurer la viabilité économique du modèle ferroviaire dans un contexte où il doit considérablement se développer pour que nous tenions nos engagements climatiques. Nous appelons ainsi à une triple remise à plat :
Celle de la gouvernance et du modèle de financement du réseau,
Celle devant répondre à un engagement stratégique réel, sincère et ambitieux de l’État,
Mais aussi celle relative aux efforts de productivité conséquents de la SNCF.
▶️ L’État doit sensiblement renforcer son effort en faveur des infrastructures ferroviaires en s’engageant sur des trajectoires financières pluriannuelles renforcées, fermes, fiables et cohérentes avec les objectifs qu’il affiche par ailleurs, notamment en matière de report modal. De son côté, la SNCF doit agir résolument et prendre des décisions courageuses afin d’améliorer très sensiblement sa compétitivité. L’État et la SNCF doivent conjointement et rapidement prendre leurs responsabilités pour assurer la viabilité économique de long terme du secteur ferroviaire.
▶️ Les réformes qui se sont succédées durant les trois dernières décennies n’ont pas réglé les déséquilibres économiques du système ferroviaire, même si celle de 2018 était absolument indispensable. Le Sénat a pris sa part à cette réforme. La reprise de 35 milliards d’euros de la dette de SNCF Réseau était incontournable pour donner une chance au redressement financier de la société et elle est venue compenser a posteriori les manquements antérieurs de l’État dans le financement de ses infrastructures ferroviaires. En augmentant la contribution de SNCF Mobilités au fonds de concours qui alimente SNCF Réseau, elle portait aussi l’ambition d’un système financièrement autoporteur. Aujourd’hui, plusieurs des hypothèses sous-jacentes de la réforme de 2018 sont remises en cause et il est devenu clair que pour tenir nos engagements climatiques ou d’aménagement du territoire, il est nécessaire de développer massivement l’offre ferroviaire. À l’issue de nos travaux, et alors que les conséquences de long terme qu’aura la crise sur la mobilité ajoutent un paramètre nouveau, nous pensons que la réforme de 2018 ne sera pas suffisante pour assurer l’équilibre financier de la SNCF et du système ferroviaire dans son ensemble.
▶️ Dorénavant le moteur du groupe est extérieur aux activités historiques de la SNCF. Geodis et Keolis en représentent 50 % du chiffre d’affaires. La dynamique financière de ses activités périphériques masquent les faiblesses structurelles de la SNCF. La compétitivité de la SNCF est très insuffisante. Entre 1996 et 2013, les gains de productivité réalisés par la SNCF avaient été de 4 à 5 fois moins importants que ceux de ses homologues allemand et suisse. En 2018, le déficit de compétitivité de la SNCF par rapport à ses homologues était estimé à 30 %. Pour l’activité TER, le constat est sans appel : les coûts de roulage de la SNCF sont supérieurs de près de 60 % à ce qu’ils sont en Allemagne par exemple. Alors que le processus d’ouverture à la concurrence est en marche, cette réalité fait peser une ombre sur les perspectives financières de SNCF Voyageurs.
▶️ Nos travaux nous ont convaincu que le mode de financement des infrastructures et la performance de SNCF Réseau constituent le nœud du problème. L’état du réseau français est inquiétant. Le sursaut intervenu après le rapport alarmant de 2005 sur le dépérissement des infrastructures a laissé place à une stagnation en euros courants autour de 2,7 milliards d’euros et donc, en réalité, à une réduction de l’effort de renouvellement du réseau depuis 2016. Nous considérons qu’un milliard d’euros d’investissements supplémentaires chaque année pendant dix ans sont nécessaires pour réellement renouveler nos infrastructures. À défaut, notre réseau décrochera irrémédiablement par rapport à nos voisins et les engagements du Gouvernement visant à diminuer les émissions de CO2 des transports ne seront que des paroles en l’air.
▶️ Nous avons été particulièrement étonnés de constater, qu’à la différence de nos partenaires européens, il n’existait aujourd’hui ni programmation sérieuse, ni financement des projets de modernisation du réseau. Il existe deux principaux programmes de modernisation. La commande centralisée du réseau (CCR) doit considérablement optimiser la gestion des circulations en remplaçant les 2 200 postes d’aiguillages actuels par une quinzaine de tours de contrôle ferroviaires. Pour l’ERTMS, la France a pris des engagements au niveau européen qu’elle ne respectera pas. Elle devient un obstacle au développement de l’espace ferroviaire européen, ce qui maintient par la même occasion l’une des principales barrières à l’entrée du marché français. Fixer à la SNCF des objectifs de retour à l’équilibre financier sans intégrer l’enjeu de la modernisation du réseau est un non-sens. C’est ce qui nous fait dire que le projet de nouveau contrat de SNCF Réseau a plutôt les allures d’un contrat de contre-performance !
▶️ La situation financière structurellement dégradée du gestionnaire d’infrastructure reste encore aujourd’hui la principale faiblesse du modèle ferroviaire. L’organisation et le fonctionnement de SNCF Réseau restent emprunts d’archaïsmes. Sa productivité a stagné depuis 20 ans et, par rapport à la moyenne européenne, 3 fois plus d’agents sont nécessaires pour faire circuler un train en France. Les coûts d’entretien, de maintenance et de renouvellement sont également supérieurs aux standards européens. Ainsi, la viabilité de long terme du modèle économique ferroviaire suppose une amélioration très significative de la performance de SNCF Réseau. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’État complique largement l’équation en plaçant SNCF Réseau devant des injonctions contradictoires manifestes. La première d’entre elles étant d’exiger des gains de performance ambitieux tout en lui refusant toute possibilité de financements pour le programme qui porte les principaux gisements en la matière, à savoir, la commande centralisée du réseau.
▶️ Les perspectives financières de la SNCF ainsi que du modèle économique du secteur ferroviaire reposent très largement sur le contrat de performance de SNCF Réseau. Le contrat actuel, mort-né, devait être actualisé en 2020. Les négociations se sont éternisées et un projet a été diffusé en fin d’année dernière. Les acteurs sont unanimes pour en dénoncer les insuffisances. Il ne porte absolument aucune vision et aucune ambition stratégique. Il balaie nombre d’engagements pris par l’État, notamment dans la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, et est en total décalage avec nos objectifs environnementaux et les enjeux du green deal. Les trajectoires d’investissements dans les infrastructures sont grandement insuffisantes, aucun financement n’est prévu en faveur de leur indispensable modernisation et le redressement financier de SNCF Réseau repose sur des trajectoires d’évolutions des péages peu réalistes et probablement insoutenables pour les régions.
▶️ Du fait de ses relations compliquées avec les régions, de l’ouverture à la concurrence et des conséquences de la crise la situation financière de SNCF Voyageurs doit faire l’objet d’une particulière attention. En 2020, SNCF Voyageurs a considérablement réduit ses dépenses d’investissement. Il pourrait en résulter un cercle vicieux dangereux pour sa compétitivité. Et pourtant, la situation aurait pu être bien plus grave si les régions et IDFM n’avaient pas assumées, presque à elles seules, les conséquences de la crise sur le solde d’exploitation des activités TER et Transilien. Les perspectives financières de SNCF Voyageurs sont assombries par le poids des péages, les plus élevés en Europe : 45 % des coûts d’exploitation du TGV avant la crise ! Ce phénomène est symptomatique des relations financières insatisfaisantes entre SNCF Réseau et SNCF Voyageurs. La principale ressource de SNCF Réseau, et dont l’augmentation dynamique est la condition de son rétablissement financier, devient proprement insoutenable pour SNCF Voyageurs et menace ses perspectives. Ce modèle de financement n’est pas sain et doit être aboli, comme d’ailleurs la cohabitation des deux sociétés au sein d’un même groupe intégré.
▶️ En ce qui concerne la politique d’aménagement ferroviaire du territoire, là aussi le bât blesse. L’État se désengage du financement des petites lignes et les objectifs de renouvellement recommandés par le rapport Philizot ne seront pas tenus. S’agissant des trains d’équilibre du territoire de jour comme de nuit, si d’un côté l’État est prompt à annoncer des objectifs ambitieux, les financements ne suivent pas.
▶️ Notre mission de contrôle nous a aussi convaincu que la SNCF a encore du chemin à parcourir pour gagner en compétitivité et c’est à une véritable révolution culturelle qu’elle doit s’atteler. L’ouverture à la concurrence est une chance pour le secteur ferroviaire. Elle est un aiguillon pour améliorer la compétitivité de la SNCF. Elle enclenchera un cercle vertueux favorable à la viabilité économique du secteur. Cependant, il ne suffit pas de la proclamer. Il faut la concrétiser en levant les freins qui l’entravent. Les interrogations quant à l’indépendance réelle du gestionnaire d’infrastructure en font partie. L’organisation issue de la réforme de 2018, qui fait cohabiter SNCF Voyageurs et SNCF Réseau au sein d’un même groupe intégré, qui conduit des dirigeants de la société mère à siéger au conseil d’administration de SNCF Réseau, n’est pas de nature à donner toutes les assurances d’impartialité nécessaire. Or celles-ci sont absolument indispensables, y compris en vertu de la théorie des apparences, pour instaurer le climat de confiance nécessaire au développement de la concurrence. Le fait que les résultats de SNCF Voyageurs déterminent les recettes de SNCF Réseau peut aussi amener les opérateurs alternatifs à s’interroger. Aussi, pour permettre une réelle ouverture à la concurrence, nous recommandons de rendre SNCF Réseau parfaitement indépendant en le sortant du giron du groupe SNCF.
▶️ Pour synthétiser, après de nombreuses tentatives infructueuses et afin de remettre enfin sur rails les modèles économiques de la SNCF et du système ferroviaire, nous formulons des recommandations qui demandent des efforts conséquents tant à l’État qu’à la SNCF. Comme vous pouvez le voir, nos 1️⃣9️⃣ recommandations sont structurées autour de trois axes :
1️⃣ la SNCF doit faire sa part du chemin et agir résolument pour améliorer sa gouvernance et sa performance ;
2️⃣ nous pensons que les équilibres financiers entre l’État, la SNCF et les régions doivent être remis à plat et que l’engagement financier de l’État en faveur du réseau doit être renforcé ;
3️⃣ l’État a affiché des objectifs en matière de relance du fret ferroviaire et de la desserte des territoires, il doit désormais les concrétiser.
▶️ Je reviendrai dans une prochaine publication sur la couverture média accordée à notre rapport : ce matin sur Public Sénat et auprès des Échos, du Figaro et du Parisien en particulier.
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