🚉 Pourquoi une mission de contrôle sur la situation financière de la SNCF ?

1 octobre 2021
📎 Avec mon collègue Hervé Maurey, nous avons fait ce matin une communication intermédiaire devant la commission des finances du Sénat quant à notre mission de contrôle sur la situation financière de la DNCF et ses perspectives.
📎 La situation financière de l’entreprise est bien-sûr très durement affectée par les conséquences immédiates de la crise. Pour autant, il convient de se concentrer sur les déterminants structurels de ses finances. S’il est indispensable de gérer l’urgence, il est utile de lever la tête du guidon. Malgré les réformes, la situation financière de la SNCF restait fragile avant 2020 et la crise aura des conséquences de long terme. Les préoccupations sur la situation financière de la SNCF ne datent pas d’hier et plusieurs réformes, depuis 1997 sans remonter plus loin, nécessaires mais insuffisantes, ont eu pour ambition de remettre les comptes de l’entreprise dans le vert. Depuis 25 ans, l’endettement du gestionnaire de réseau est devenu le point noir du système.
📎 Aujourd’hui, la réforme se trouve malmenée car certaines de ses hypothèses sous-jacentes sont remises en cause. La principale étant la vitalité de la grande vitesse. Les conséquences structurelles de la crise pourraient l’affecter.
📎 Alors que la situation financière de la SNCF restait très fragile avant la crise, le rétablissement prochain de son équilibre apparaît incertain. Avant la crise, son flux de trésorerie annuel restait négatif à hauteur de plus de deux milliards d’euros. Le cumul des grèves de l’hiver 2019-2020 et de la crise sanitaire a provoqué un choc sans précédent. En 2020, son chiffre d’affaires s’est contracté de 14 %, sa marge opérationnelle a été divisée par trois et sa dette a progressé de 3 milliards d’euros. Au premier semestre 2021, bien qu’atténués, les effets de la crise continuent de se faire sentir.
📎 Les modalités de financement du réseau et la performance du gestionnaire d’infrastructure sont au cœur de la problématique.
📎 L’absence de financement de la modernisation du réseau interpelle. Il existe deux principaux programmes. La commande centralisée du réseau passe par la mise en place de véritables tours de contrôle. Les 2 200 postes d’aiguillages actuels pourraient être remplacés par une quinzaine de ces structures centralisées. Par ailleurs, l’ERTMS est un système de signalisation européen qui permet d’augmenter la fréquence de circulation des trains. Le gestionnaire d’infrastructure en est réduit à piocher dans l’enveloppe dédiée à la régénération du réseau ou à faire payer les opérateurs. Or la rénovation des petites lignes qui s’élève à environ 4 milliards d’euros par an est indispensable et déjà insuffisant. Le coût de la commande centralisée pourrait s’élever à 15 milliards d’euros ; celui de l’ERTMS 20 milliards d’euros.
📎 Le modèle français de financement du réseau se distingue de celui de plusieurs de ses partenaires et pourrait être questionné. Il repose largement sur le gestionnaire d’infrastructure qui doit en couvrir le coût complet. Ce modèle induit une lourde pression financière sur SNCF Réseau et des péages élevés.
📎 Malgré ces péages élevés la situation financière du gestionnaire d’infrastructure est structurellement dégradée.
📎 La viabilité de la situation financière du groupe et du modèle ferroviaire, doit passer par une amélioration significative de la performance de SNCF Réseau. Des études montrent qu’un agent de SNCF Réseau fait circuler en moyenne 1,3 fois moins de trains que ses homologues allemands.
Le contrat de performance de 2017 prévoyait des gains d’efficience de 1,2 milliards d’euros d’ici 2026. La réforme de 2018 a relevé l’objectif de 400 millions d’euros. Ces engagements doivent être tenus. Plusieurs leviers d’efficience doivent être actionnés : poursuite des plans d’économies structurelles, réformes des ressources humaines, modernisation des systèmes d’information, sous-traitance et modernisation du réseau.
📎 Les perspectives financières de la SNCF et du modèle ferroviaire reposent sur le contrat de performance de SNCF Réseau. Le contrat actuel, mort-né, devait être actualisé en 2020. Les négociations se prolongent et leur finalisation est sans cesse repoussée. Elle est désormais annoncée pour le printemps 2022. Cette situation est regrettable. Elle nous prive de visibilité. Le nouveau contrat ne devra pas reproduire les erreurs du précédent. Il devra fixer des objectifs de performance ambitieux à SNCF Réseau, des engagements de financement forts de l’État ainsi qu’une trajectoire financière sincère. Le financement du réseau et les perspectives financières de la SNCF semblent de plus devoir intégrer une nouvelle inconnue que l’on n’attendait pas et qui remet en cause les engagements du Gouvernement. Nous voulons parler de la relance inattendue des grands projets de LGV. Après les annonces du Premier ministre, leurs modalités de financement restent floues. On est en droit de s’interroger si la règle d’or protègera véritablement SNCF Réseau.
📎 La concurrence et la crise braquent aussi les projecteurs vers SNCF Voyageurs. La progression de son endettement est préoccupante. En 2020, il s’est creusé de 1,4 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 80 %. Il a atteint 3,3 milliards d’euros, soit seize fois le niveau prévu au budget initial 2020. Les péages ont représenté 60 % des charges d’exploitation de SNCF Voyageurs en 2020 contre 40 % habituellement.
En conséquence, SNCF Voyageurs a sérieusement réduit ses dépenses d’investissement. Il pourrait en résulter un cercle vicieux susceptible de menacer sa compétitivité.
L’État n’a pas prévu de soutenir l’opérateur de transport. Il a concentré ses concours financiers sur le gestionnaire d’infrastructures.
Préoccupantes, les perspectives de SNCF Voyageurs font planer une ombre sur le modèle du ferroviaire.
📎 Fret SNCF est structurellement déficitaire. Sa marge opérationnelle est négative. Elle perd en moyenne 250 millions d’euros par an. Sa dette de 5 milliards d’euros a été reprise par la société mère mais cette décision fait l’objet d’un contentieux devant la commission européenne. C’est une menace qui pèse sur l’entreprise. Par ailleurs, les parts de marchés de Fret SNCF s’érodent.
La pérennité financière de Fret SNCF dépend des concours de l’État, indispensables pour compenser des activités structurellement déficitaires. Ces concours ont été renforcés en 2021 et nous saluons les engagements de l’État pris mi-septembre. Le prolongement des aides au moins jusqu’en 2024 donne plus de visibilité à la société.
📎 Les difficultés financières de la SNCF ne doivent pas se répercuter sur la qualité de la desserte des territoires. Les « contrats petites lignes » constituent un réel progrès qui clarifie leurs conditions de financement. Ils doivent se concrétiser par de véritables protocoles financiers.
La gestion de l’infrastructure des lignes de desserte fines du territoire est aujourd’hui déficitaire pour SNCF Réseau. Toutefois, la possibilité d’un transfert de leur infrastructure aux régions, dans ses conditions à définir, pourrait générer des gains de performance.
📎 Notamment à travers ses filiales phares, Géodis et Kéolis, SNCF poursuit une stratégie de diversification et de mondialisation. Au cours de l’année 2020, Géodis et Kéolis ont représenté presque la moitié du chiffre d’affaires du groupe et 60 % de sa marge opérationnelle. Ces activités ont fait montre d’une grande résilience au cours de la crise. Géodis affiche même des performances inédites. Elles contribuent à améliorer la situation financière du groupe mais il est nécessaire de veiller à ce que le cœur ferroviaire français du groupe demeure sa priorité absolue.
📎 La SNCF doit gagner en compétitivité. Elle met en œuvre des plans d’économies sur les frais généraux et administratifs, les achats ou encore l’immobilier. Pour affronter la crise, la SNCF a réalisé des plans d’économies exceptionnels. Ils étaient indispensables mais une part significative de ces économies n’est pas structurelle. Certaines ont un simple effet de trésorerie quand d’autres résultent de la baisse du chiffre d’affaire ou de dispositifs de soutien gouvernementaux. Des leviers structurels de productivité restent à mobiliser en matière de ressources humaines. Le législateur a fait sa part du travail avec l’extinction du statut de cheminot. La SNCF a les clés en mains pour engager des réformes. Nous sommes conscients que ce sujet est sensible mais des marges d’efficience restent à explorer. Il est temps d’aller au bout des réformes.
📎 Certaines inquiétudes naissent quant aux perspectives du modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire. Ils sont totalement dépendants du TGV et même, des seules 50 % de lignes TGV rentables. La ligne Paris-Lyon à elle seule, la plus profitable de toutes, alimente largement ce système qui repose sur une triple péréquation. La viabilité des modèles du groupe et du ferroviaire est donc conditionnée à la vitalité de la grande vitesse. Or, plusieurs incertitudes pèsent sur ses perspectives. Le TGV a subi un véritable « accident industriel » et la crise aura des conséquences durables sur les habitudes de mobilité. La baisse de la clientèle professionnelle sera structurelle. Or c’est la plus rentable. Avec moins de voyageurs premium, il faudra plus de passagers pour rentabiliser le TGV. Les taux d’occupation nécessaires pourraient ne pas être atteints au moins au cours des deux années à venir.
📎 Le grand pari stratégique de la SNCF va aussi affecter la rentabilité du TGV. Ce pari vise à rechercher un accroissement des volumes de voyageurs quitte à rogner sur les marges. Audacieux et rendu probablement plus nécessaire encore par les effets stigmates de la crise sur les voyages d’affaire, ce pari n’en est pas moins risqué. D’une certaine façon, le ouigo cannibalise le TGV inoui qui était très profitable avant la crise. Cet été, la SNCF a lancé une nouvelle politique tarifaire baptisée easy TGV qui semble porter ses fruits.
La réussite de cette stratégie dépendra de la capacité de la SNCF à attirer la clientèle loisirs, des voyageurs soucieux de leur empreinte environnementale mais aussi des professionnels.
Les modèles économiques de la SNCF et du système ferroviaire sont dépendants de la réussite de cette stratégie. Si la grande vitesse ne retrouvait pas un niveau de rentabilité suffisant, l’ensemble du système de financement du ferroviaire en France devrait être remis à plat.
📎 Si elle est absolument essentielle et bénéfique à l’ensemble du système, l’ouverture à la concurrence affectera les équilibres du modèle.
Elle pèsera sur le chiffre d’affaire de SNCF Voyageurs. Ses conséquences pourraient se chiffrer, à terme, à plusieurs centaines de millions d’euros. Les nouveaux entrants vont rapidement se positionner sur les lignes les plus profitables avec des effets de baisse des prix et des taux de marges qui vont mettre le système de financement du ferroviaire sous tension. Les bénéfices de SNCF Voyageurs pourront-ils et devraient-ils continuer à financer le réseau ? Cette réflexion doit être conduite car, à terme, faute d’un modèle économique viable, la SNCF pourrait en venir à remettre en cause l’exploitation des lignes non rentables.
📎 A ce stade les principales interrogations pour lesquelles des recommandations seront faites lors de la remise de notre rapport terminal en février prochain sont les suivantes :
🖇 les conditions de financement du réseau et de sa modernisation, mais aussi de Gares et Connexion ;
🖇 l’avenir du modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire ;
🖇 les gisements d’efficience du groupe à mobiliser, en particulier du côté des ressources humaines ou de la performance du gestionnaire d’infrastructures ;
🖇 notre impatience quant à l’actualisation, sans cesses reportée, d’un contrat de performance qui est la véritable clé de voute du système ;
une nécessaire vigilance quant à l’évolution de la situation de SNCF Voyageurs ;
🖇 ou encore sur les conditions d’une ouverture à la concurrence qui soit réelle et appuyée sur une véritable indépendance de SNCF Réseau.

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