L’ouverture européenne : un plan de relance et de légitimes interrogations.

13 décembre 2020

Plan de relance européen Next Generation E.U

En réunion de groupe, nous avons accueilli François-Xavier Bellamy, chef de file des députés français du P.P.E au Parlement européen. L’occasion de faire un point sur ce qui est en train de se jouer au niveau européen avec le plan de relance et le nouveau cadre financier pluriannuel.

Cette situation me semble particulièrement préoccupante pour l’européen convaincu que je suis. Surtout l’information qui en est faite dans notre pays est à minima tronquée et bien souvent erronée.

Mon rôle de parlementaire est aussi me semble-il d’éclairer les citoyens sur cette situation.

Posons d’abord le cadre et rappelons les éléments.

Je ferai ensuite partager brièvement mes interrogations, mes inquiétudes, et donc ce qu’il serait utile de faire encore pour éviter demain un rejet accru d’une Europe avançant masquée.

 

Le cadre d’actualité européenne :

 

1 – Le plan de relance Next Generation EU :

Contexte.

S’inspirant d’une initiative franco-allemande, la Commission européenne a proposé en mai 2020 de mettre en place, outre le budget « classique », un plan de relance basé sur un emprunt européen. C’est une première, à peine prévu par les traités.

Bien qu’aménagée, cette idée a été reprise par les chefs d’État et de gouvernement.

L’accord trouvé le 21 juillet 2021 prévoit ainsi :

– 1074 milliards € pour le « Cadre financier pluriannuel » pour la période 2021-2027 ;

– 750 milliards € pour un plan de relance européen baptisé « Next Generation EU » (dont 390 milliards € de subventions et 360 milliards € de prêts).

Fonctionnement.

Le plan de relance de 750 milliards € sera financé par des émissions obligataires de l’Union sur les marchés. Les fonds ainsi empruntés viendront abonder plusieurs programmes européens ainsi qu’un nouvel instrument dédié : la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR).

Cet instrument, qui représentera 90% des fonds, a vocation à cofinancer une partie des dépenses engagées par les États membres pour financer des investissements et des réformes structurelles en réponse à la crise liée à la pandémie. Ces mesures devront être détaillées par chaque État membre dans un Plan National de de Relance et de Résilience (PNRR). Les crédits européens seront versés au fur et à mesure de l’atteinte des cibles quantitatives et qualitatives, dans la limite de l’enveloppe totale allouée à chaque État membre.

 

2 – Questionnements suscités par le plan de relance européen.

Cette initiative a suscité plusieurs questions :

Philosophie du mécanisme.

L’emprunt commun constitue une étape supplémentaire dans l’intégration européenne. Le fait que le plan de relance finance non seulement des prêts mais aussi des subventions implique par ailleurs des transferts budgétaires entre États, ce qui explique les réticences initiales des pays dits frugaux.

Incertitudes sur le remboursement.

Selon les termes de l’accord du 21 juillet 2020, les fonds empruntés dans le cadre du plan de relance seront remboursés à partir de 2028 durant une période maximale de 30 ans.

Les options pour rembourser l’emprunt sont limitées :

– introduction de nouvelles ressources financières européennes (« nouvelles ressources propres ») ;

– réduction à l’avenir des programmes du budget « classique » (PAC, fonds structurels…) ;

– augmentation des contributions des États membres.

Or, si un accord inter-institutionnel prévoit un calendrier d’introduction de nouvelles ressources propres, l’issue demeure incertaine car elles devront in fine être adoptées à l’unanimité par les chefs d’État et de gouvernement, mais également passer l’examen des Parlements nationaux.

Retour français.

Dans le cadre de la part de subventions, la clé d’allocation entre États membres prend en compte à la fois des critères structurels (taux de chômage, RNB…) et des critères reflétant l’impact conjoncturel de la crise. Une partie des fonds sera attribuée sur la base de données non encore disponibles, mais selon les prévisions macroéconomiques actuelles, la France devrait bénéficier d’environ 40 milliards € courants au titre de la FFR.

Or, à défaut de l’introduction de nouvelles ressources propres, le remboursement sera calculé sur la base de la part de chaque État membre dans le RNB total de l’UE. Sachant que la France contribue à hauteur de 17 à 20%, ces échéances pourraient ainsi représenter pour la France environ 2,5 milliards € courants/an, pour un total entre 66 et 78 milliards €, soit bien plus que les 40 milliards d’aides annoncées.

Contreparties.

Les Plans Nationaux de Relance devront non seulement respecter les grandes priorités européennes mais aussi prévoir des réformes, en lien avec les recommandations formulées par la Commission européenne dans le cadre du semestre européen.

Les Plans seront examinés par la Commission européenne et devront être approuvés par le Conseil (États membres). De la même manière, les décaissements feront l’objet d’une décision de la Commission et d’un avis du Conseil Ecofin, (Ministère de l’économie et des finances des 27), qui pourra suspendre le décaissement des fonds. Dans les négociations en cours, le Parlement européen se bat également pour être associé à la gouvernance.

 

3 – Décision sur les ressources propres.

Les Parlements nationaux amenés à se prononcer.

La décision sur les ressources propres constitue le volet « recettes » du budget européen. Pour rendre l’emprunt possible, une modification de cette décision est nécessaire afin d’augmenter la marge disponible entre le montant maximal de fonds que l’Union peut demander aux États membres pour financer ses dépenses et les dépenses réelles. Cette marge de manoeuvre, utilisée comme garantie, permettra à la Commission de lever des fonds sur les marchés.

Cette Décision devra être ratifiée par les 27 États membres, conformément à leurs procédures constitutionnelles respectives (en France, approbation par le Gouvernement après autorisation du Parlement).

Les enjeux du vote.

Il s’agit d’un élément central et symbolique du Plan de relance car cette décision constitue la base juridique qui habilite la Commission à emprunter au nom de l’UE.

Pour autant, la décisions concernant les ressources propres ne se limite pas au simple financement du Plan de relance. Elle porte plus généralement sur les ressources budgétaires européennes et prévoit un grand nombre de dispositions, notamment :

– le maintien de rabais forfaitaires aux contributions du Danemark, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche et de la Suède, conformément à l’accord du 21 juillet (corrections accroissant mécaniquement la contribution française qui atteindra un niveau record en 2021) ;

– l’introduction d’un prélèvement sur les déchets plastiques. Le texte rappelle également que la Commission devrait présenter des propositions relatives à d’autres nouvelles ressources propres, par exemple un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Prochaines étapes.

L’adoption de la Décision sur les ressources propres est un préalable nécessaire au lancement du Plan de relance, mais la Pologne et la Hongrie, rejointes depuis par la Slovénie, bloquent actuellement le processus de ratification. Ce blocage ne s’explique pas par une hostilité au Plan de relance (dont ces pays seraient largement bénéficiaires) mais par leur opposition au mécanisme permettant de suspendre les fonds européens en cas d’atteinte à l’État de droit, négocié en parallèle. Le sujet sera abordé lors d’un sommet européen prévu le 10 décembre.

Interrogations, Inquiétudes, Pistes :

 

Contexte budgétaire.

Pour l’exercice 2021, la contribution totale de la France au budget de l’Union européenne est estimée à 28,5 milliards d’euros, en additionnant le montant du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne (PSRUE), évalué à 26,9 milliards d’euros par l’article 31 du PLF 2021, et les droits de douane nets versés par la France, estimés à 1,6 milliard d’euros. L’année 2021 constitue une année charnière pour la contribution française, premier exercice budgétaire du nouveau cadre financier pluriannuel (CFP).

Comme en 2018, la France était, en 2019, le troisième contributeur net au budget de l’Union européenne. Toutefois, la contribution nette de la France ne doit pas occulter le fait qu’elle reste l’un des principaux bénéficiaires des dépenses de l’Union européenne. Ainsi, en 2019, les dépenses européennes réalisées en France se sont élevées à 15,1 milliards d’euros, soit 11,2 % du total des dépenses de l’Union. La France reste ainsi le deuxième bénéficiaire en volume, derrière la Pologne. Les deux-tiers des dépenses européennes réalisées en France concernent la politique agricole commune (PAC) (9,6 milliards d’euros). Par conséquent, en représentant 17 % des dépenses agricoles de l’Union européenne, la France est le premier bénéficiaire de la PAC, devant l’Espagne et l’Allemagne.

Néanmoins, on le voit aussi, la contribution nette de la France à l’UE s’élève désormais à plus de 13 milliards € (28,5 – 15,1). Ce n’est pas neutre et il convient de le rappeler.

 

Triple peine.

C’est ainsi qu’il me semble que l’on peut analyser la situation actuelle sur le plan budgétaire pour la France de la manière suivante :

  • Le Brexit notamment précipite la France à un niveau de contribution nette jamais atteint et sans bénéfice d’aucun rabais,
  • Les 40 milliards € apportés à la France vont coûter cher, beaucoup plus cher que ce que nous aurions pu obtenir sur les marché, puisque le cumul du remboursement est estimé aux environs de 70 milliards €,
  • Plus encore ce montage met gravement en cause notre souveraineté : contrôle accru de l’UE sur le budget de la France, amorce d’une mutualisation de dette qui marque un pas supplémentaire vers un budget européen, vers un transfert de souveraineté. Pourquoi pas, mais pas comme ça, pas sans débat, pas au détour d’une crise sanitaire qui génère un plan de relance.

 

Cadre européen.

La crise sanitaire a accéléré la prise de conscience d’un retour à une nécessaire souveraineté. Celle-ci doit-elle être européenne ou nationale ? Cette question reste entière. Elle nécessite l’introduction d’un certain protectionnisme, comme toutes les autres grandes zones commerciales le font, si nous gardons le dogme absolu de la libre concurrence, nous n’y parviendrons pas.

Les intérêts de la France, où la désindustrialisation est ancienne et constante, et de l’Allemagne, pays exportateur de biens et d’équipements, sont très différents. Cette dernière a besoin de marchés ouverts et porteurs pour écouler ses productions industrielles alors que la France inquiète chaque année davantage par son déficit commercial chronique et conséquent.

A un autre titre, la charge des crédits de la défense reste essentiellement imputée à la France, sans que cela soit pris en compte dans le budget européen. Avec la sortie de la Grande-Bretagne, ce déséquilibre ne fait que grandir.

En fait, ces questions liées au cadre européen renvoient à la réalité du couple franco-allemand. Il est à la base de la construction européenne, pour préserver la paix puis pour construire un marché commun, développer de grands projets industriels, renforcer une communauté puis une union qui a voulu à la fois s’approfondir et s’élargir.

Aujourd’hui, les intérêts économiques, budgétaires et démographiques de la France et de l’Allemagne n’ont jamais été aussi orthogonaux. Et c’est peut-être là le plus inquiétant.

 

France – Allemagne : une relation de plus en plus déséquilibrée

Le 5 mai 2020, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe provoquait l’émoi en s’opposant à une décision de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) sur le programme de rachat d’actifs de la Banque centrale européenne. Les juges suprêmes avaient jugé excessifs les programmes de rachat de dette de la BCE sur les marchés qui s’élevaient à 2 600 milliards d’euros depuis 2015. Ils exigeaient que, dans un délai de trois mois, l’institut monétaire et les autorités allemandes s’expliquent, faute de quoi la Cour menaçait de suspendre la participation de la banque centrale allemande au financement des plans d’aide européens.

Cet épisode qui n’est que suspendu, témoigne de l’écart de la conception monétaire que nous avons avec nos voisins allemands. Leur monnaie est garante de leur épargne et la hantise de l’inflation est au cœur de leur politique depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Par ailleurs, le fait qu’ils disposent d’un budget excédentaire et de bases saines avant la crise sanitaire, constitue pour eux un réel avantage bien-sûr leur permettant de relancer plus vite et plus fort, de s’endetter dans des proportions raisonnables.

Plus encore, les trajectoires démographiques divergentes de l’Allemagne et de la France ont déjà des conséquences majeures et différenciées sur les dépenses sociales, les marchés du travail, les capacités productives et sur la soutenabilité des dettes publiques. Elles expliquent notamment les craintes allemandes face à la montée de leur propre dette. Les divergences démographiques vont nécessiter la mise en œuvre de politiques publiques hétérogènes de part et d’autre du Rhin.

Depuis la guerre, et plus encore depuis la réunification, la fécondité française est toujours restée supérieure à la fécondité allemande et depuis le début des années 2000 l’écart se creuse.

D’après les projections démographiques retenues par la Commission européenne, l’Allemagne devrait perdre plus de 15 millions d’habitants d’ici 2060 et la France en gagner un peu moins de 9. Vers 2045 les deux pays devraient avoir des populations identiques (un peu moins de 73 millions d’habitants) et en 2060 la France compterait environ 7 millions d’habitants de plus que l’Allemagne (73 millions contre 66).

En conséquence, et compte tenu des réformes engagées dans les deux pays, la part des dépenses publiques de retraites dans le PIB augmenterait peu en France et beaucoup en Allemagne. D’après les travaux de la Commission européenne elle passerait en France, entre 2010 et 2060, de 14,6 à 15,1 %, soit une hausse de +0,5 point, alors qu’elle augmenterait de 2,6 points en Allemagne passant de 10,8 à 13,4 % du PIB. Ceci bien que la réforme allemande du système de retraite prévoie un report à 67 ans de l’âge de la retraite et la réforme française un report à seulement 62 ans. C’est la raison pour laquelle, on le voit nous demeurons malgré tout à un niveau supérieur à nos voisins.

On est là sur un mouvement structurel et de temps long.

Le poids d’une France endettée qui dispose de fondamentaux dégradés ne lui permet plus de peser vraiment mais seulement de laisser croire à une grandeur et à un équilibre avec son voisin d’outre Rhin. Je crains que ces 40 milliards € du plan de relance n’en soient une illustration.

Pour retrouver du poids en Europe, il faut enfin alléger notre dette, nos déficits, nos prélèvements obligatoires, en France. C’est d’abord cela la souveraineté.

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