Deux auditions de qualité cette semaine au Sénat : Nicolas Baverez et Jérôme Fourquet.

17 janvier 2022
J’ai voulu en partager une synthèse avec vous pour éclairer la réflexion de chacun.
🕸 Nicolas Baverez est avocat et essayiste. Ancien élève de l’École normale supérieure et de l’École nationale d’administration, il est docteur en histoire et diplômé en sciences sociales. Il est un spécialiste de Raymond Aron et Alexis de Tocqueville. Il intervenait devant le cercle républicain du Sénat mardi dernier, notamment suite à la publication de son dernier ouvrage « (Re)constructions ».
➰ Pour lui, après 40 ans de décrochage, la France a un vrai rendez-vous en 2022 pour engager un redressement possible au cours des 10 ans qui viennent. L’épidémie sanitaire a modifié les mentalités et devient la matrice du 21eme siècle. Ce choc est en effet particulier car il est universel et le fruit d’une décision des États qui ont décidé l’arrêt de l’économie. Pour autant, les stratégies ont été pour l’essentiel nationales et ont généré une forte polarisation. Cette crise et la reconstruction en cours connaît 3 phases : la défensive, la reprise (appuyée sur la vaccination) et la reconstruction.
➰ L’épidémie a montré nos fragilités :
🔜Faible capacité d’anticipation,
🔜Baisse de la qualité de notre industrie et de notre recherche,
🔜Une cohésion nationale délitée,
🔜La montée de l’irrationalité,
🔜La désindustrialisation de notre pays,
🔜Un niveau de revenu par habitant inférieur de 15% à celui des allemands,
🔜Une croissance qui n’est plus tirée que par la consommation et largement financée par la dette publique.
➰Les voies du redressement identifiées par Nicolas Baverez sont les suivantes :
🔝Dresser un constat réel de la situation pour permettre un projet approuvé par le plus grand nombre,
🔝Construire un pacte productif, adossé sur l’énergie.
🔝Donner un cap et du sens en partant du service rendu à la population et des valeurs de la République.
🔝Décentraliser fortement et réellement pour redonner une efficacité à l’action publique (éducation, santé…).
🕸 Jérôme Fourquet, politologue français, est directeur du département « opinion et stratégies d’entreprise » de l’Institut français d’opinion publique. Ses travaux portent notamment sur les comportements et attitudes politiques en lien avec les religions, l’immigration et les questions d’identité. L’Archipel français, une nation multiple et divisée — son essai de référence pour lequel il reçoit le Prix du livre politique 2019 — en offre une vision de synthèse. Il vient de publier « La France sous nos yeux » dont il nous a fait partager quelques idées lors d’une séance de travail de la délégation à la prospective du Sénat ce jeudi.
➰Les deux objectifs poursuivis par cet ouvrage, co-écrit avec Jean-Laurent Cassely, sont de raconter l’évolution de la société française au cours de ses 40 dernières années et de dresser un panorama de la France d’aujourd’hui et de demain.
➰Le phénomène majeur sur lequel il nous éclaire est le passage d’un modèle économique organisé autour de la production à une organisation autour de la consommation : la charnière symbolique s’est opérée au printemps 1992 avec la fermeture de l’usine de Renault Billancourt et l’inauguration de Disneyland Paris. Aujourd’hui 75% des français 18 – 35 ans y sont allés au moins une fois dans leur vie, montrant aussi une nouvelle identité culturelle symbolisée par « le pèlerinage à Disney ».
➰Les grandes métamorphoses de ces 40 années sont :
🔜La désindustrialisation et l’émergence des grandes surfaces,
🔜Le plus vaste plan social autour de l’agriculture: passage d’un million a 380.000 exploitations en 30 ans, avec une marginalisation des agriculteurs dans la société,
🔜La transformation des ports de pêche en ports de plaisance.
🔜Le passage de cette économie de la production à une économie du loisirs se retrouve dans la montée en puissance de la grande distribution et de la logistique. La France est devenue une vaste zone de chalandise avec une évolution même du paysage et des périphéries de villes, qui regroupent outre la grande distribution, les cinémas, les restaurants, les lieux de loisirs, devenue cœur battant des villes.
➰Cette France « Amazon » où règnent en maître le tourisme et les loisirs s’inscrit dans une « demoyenisation » de la société, en référence inversée aux écrits d’Henri Mandras dans les années 80 qui avait parlé de la « moyenisation » de la société, qui correspondait à l’élévation de la classe populaire, devenue classe moyenne par le modèle du fordisme et l’Etat providence. Aujourd’hui à l’inverse la classe moyenne, à travers une analyse par la consommation, est étirée par tous les bouts. Avec d’un côté la « premiumrisarion » (Monoprix, la cuisine santé…) et d’un autre côté le marché secondaire de la grande distribution (hard discount, Dacia, l’économie de la débrouille – le bon coin, les auto-entrepreneurs, le succès de la Française des jeux…-). C’est comme si le peloton s’était scindé en deux en 15 ans, alors même que tout le monde continue pourtant à pédaler!
Avec la marginalisation des grandes idéologies et du christianisme, le bonheur c’est ici et maintenant, autour de son caddie et de ses enfants (la capacité à pouvoir leur acheter des Nike et du Nutella est devenue une grille de réussite ou d’échec et de risque de devenir un « cas soc »).
➰En ce sens la transition écologique va se heurter à cette société de consommation et à la volonté d’accéder à la maison avec jardin et désormais aussi avec piscine (ou a minima avec spa). Elle va aussi se heurter, on l’a déjà vu, à la capacité de chacun à concilier « fin du monde » et « fin du mois ».
➰La rupture du lien effort/revenu, relativise la centralité du travail (c’est le hors travail qui désormais structure le travail) et interroge sur la question de l’assistanat largement rejeté, même si la solidarité nationale reste une valeur, et à l’opposé du revenu universel qui peut être nécessaire pour maintenir le système. Les nouveaux besoins (services numériques, smart-phone…) ne sont pas toujours accessibles à ceux qui sur les plateformes en assurent la distribution… jusqu’à quand?
➰Par ailleurs, on fait constat, accéléré par la crise sanitaire, que la « société du cocon » se développe : consommation de biens culturels depuis chez soi, livraison à domicile immédiat pour l’alimentaire, et à J+1 pour le reste, c’est le rouleau compresseur « Amazon » et le développement des « Darks stores » (magasins dédiés à la livraison). Tout le monde est « roi », mais il faut une armée « d’esclaves » pour les livrer… Les fractures n’ont jamais été aussi fortes.
➰L’hybridation culturelle progresse et le phénomène du « selphie » (ou de la mise en scène du « moi ») croît : l’objectif d’une carrière est de se faire prendre en photo dans le lieu culte du secteur dans lequel on agit ou avec l’icône de ce domaine (à la Maison Blanche pour un politique par exemple!).
➰La mise en conformité tardive du paysage politique par rapport aux mutations du pays continue à s’opérer. Elle va se poursuivre lors des prochaines échéances et sans doute au-delà, mais dans quel sens?). Mais comment garder notre modèle de protection sociale sans base de production, avec un moindre travail ?
➰Par-delà ces quelques pistes, limitées et incomplètes, je ne peux que vous inviter à vous plonger dans l’ouvrage pour porter un regard nouveau sur cette France recomposée.
➰Pour ma part, je vais maintenant me livrer à la lecture du dernier ouvrage de Michel Houellebecq, « Anéantir », qui dépeint mieux que personne l’air du temps de notre « comédie humaine ».
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