Délégation à la Prospective du Sénat : « Le jour du dépassement ».
31 mai 2022
Chaque année, le jour du dépassement nous rappelle que nos ressources sur cette planète ne sont pas infinies. Alors que cette date arrive de plus en plus tôt, WWF France lance un cri d’alerte et appelle le gouvernement à adopter des mesures concrètes. Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes de WWF France, sur le « jour du dépassement » a été auditionné par la délégation à la prospective du Sénat, dans laquelle je siège, sur cette question sensible et majeure.
Le 5 mai dernier, notre pays a consommé toutes ses ressources naturelles pour l’année 2022, selon l’ONG Global Footprint Network et WWF. Ce fameux « jour du dépassement » correspond au jour où l’humanité a utilisé la totalité des ressources que la planète peut renouveler en une année. Surpêche, déforestation, agriculture intensive… Et pourtant nous continuons d’agir comme si notre planète était illimitée et dégradons nos écosystèmes. « Aujourd’hui, il faudrait 2,9 planètes Terre pour subvenir aux besoins de l’humanité », déplore Isabelle Autissier, la présidente d’honneur du WWF France. Le bilan est loin d’être rassurant mais il est encore temps d’agir. WWF se projette dans la France de 2027 via son scénario « planification écologique » qui s’inscrit dans l’actualité des intentions gouvernementales affichées. Si les mesures proposées par l’ONG étaient adoptées, le jour du dépassement pourrait reculer de 25 jours, pour passer du 5 mai 2022 au 30 mai 2027.
À quoi pourrait ressembler la France avec une empreinte écologique significativement réduite ? La « planification écologique » de WWF propose des dizaines de mesures dans plusieurs domaines.
Diviser par deux l’utilisation de pesticides, soutenir les alternatives à la voiture comme le vélo ou le train.
Faire baisser de 20% la consommation de protéines animales, réduire de 50% le gaspillage alimentaire, privilégier les circuits-courts et accélérer le développement de l’agriculture biologique.
Mettre un terme à la déforestation importée, stopper l’artificialisation des milieux naturels et notamment des zones humides, atteindre 100 % d’écosystèmes forestiers « en bon état de conservation », placer sous haute protection les vieilles forêts… ou encore réaffirmer l’opposition de l’État français au projet d’exploitation de la mine industrielle Montage d’Or en Guyane.
Protéger les grands fonds marins, renforcer les contrôles liés à la pêche récréative et au marché́ noir.
Diminuer de 15% le transport de marchandises.
Si ces mesures étaient adoptées par le gouvernement, la fréquence des vagues de chaleurs serait réduite, 28 000 vies humaines seraient sauvées de la pollution de l’air d’ici 2027 – environ 40 000 personnes en meurent chaque année en France – et 1,2 million d’emplois seraient créés grâce aux investissements effectués dans la transition écologique. Des espèces emblématiques comme la grenouille verte, le lynx boréal, l’abeille sauvage, le thon rouge, l’hirondelle rustique ou encore le hêtre, symboles de notre biodiversité, seraient mieux préservées.
Pour autant, ces mesures ne constitueraient qu’une étape, puisque l’objectif final n’est pas de repousser le jour du dépassement au 31 mai, mais bien au 31 décembre. Surtout, ces mesures qui concerneraient tous les pays développés doivent s’appliquer à l’echellle de la planète pour avoir un réel impact. Qui plus est les autorités publiques ne sont pas les seules à être concernées et les entreprises comme les particuliers devront aussi adapter leurs pratiques. Ces mesures doivent aussi préserver une diversité dans notre pays et sans doute ne pas s’appliquer partout de la même manière, entre rural et urbain par exemple. Nous ne saurions par exemple être, dans le Cantal, les victimes des abus de la concentration, de la mondialisation et de l’urbanisation.
Deux éclairages qui sont dans notre actualité cantalienne :
La question de l’autonomie protéique qui consiste à réorienter les céréales importés, qui à 50% sont aujourd’hui consommés par l’élevage, vers la consommation directe des français pour aller vers une transition agricole et vers un modèle extensif et non intensif. Cela pourrait conforter notre agriculture et nos zones d’élevage, mais la transition pourrait être douloureuse en réorientant certaines consommations de l’animal vers le végétal. A ce titre la demande de la commission européenne de verdir davantage notre PAC Française ne manque pas d’inquiéter.
La question de la zéro artificialisation des sols semble bien marginale dans l’atteinte de ces objectifs pour faire reculer le jour du dépassement, puisque les mesures prises ne produisent un bénéfice que d’un seul jour. Voilà une raison supplémentaire pour ne pas l’appliquer avec tout le dogmatisme aujourd’hui en cour dans nos zones rurales.
Il convient de noter que désormais des organismes comme WWF ou d’autres ONG, travaillent de plus en plus avec le monde économique pour mesurer l’impact des propositions environnementales sur l’économie. En effet, les groupes ont bien intégré que le modèle actuel n’est plus soutenable pour l’économie française et ces 15 dernières années l’ont prouvé. Le réchauffement climatique et l’effondrement du vivant a des conséquences économiques indéniables et le modèle n’est plus soutenable, y compris économiquement et financièrement. A l’inverse prendre en compte la richesse environnementale dans le PIB permettrait de mieux mesurer cette dimension. Tout l’enjeu est de rendre la trajectoire de cette transition soutenable pour notre agriculture, notre économie et plus largement pour chaque français.
Mais chacun perçoit bien que le statu quo n’est plus possible à condition de faire le choix d’une écologie positive et non punitive.