CHRONIQUE : Il s’appelait Georges … Et voulait arrêter d’emmerder les français ! Episode 6 : Femmes.

29 février 2024

« Les femmes tenaient beaucoup de place dans ma vie et je reste convaincu qu’un visage de jeune fille et qu’un corps souple et doux sont parmi ce qu’il y a de plus émouvant au monde, avec la poésie. » Georges Pompidou a 57 ans lorsqu’il livre cette confidence, dans un journal intime que sa femme Claude publiera après sa mort. Il ne sait pas encore, en cette fin d’année 1968, que le président de Gaulle, dont il a été durant six ans le Premier ministre, va se retirer cinq mois plus tard. Mais déjà, il rassemble ses forces pour entrer en campagne. Il sait qu’elle sera, pour sa femme Claude et lui, une épreuve, violente et calomnieuse.

Alors, le futur président se souvient des moments d’insouciance et de volupté de leur jeunesse. Il a 17 ans, il passe son bac philo, et il réussit à rédiger deux dissertations, pour en passer une à l’adolescente dont il est amoureux. Il en a 20 et il descend le boulevard Saint-Michel avec son camarade de Normale Sup Léopold Sédar Senghor, futur président du Sénégal. Les filles se retournent sur lui : elles l’appellent « le beau ténébreux ». Sa voix, aussi, une voix de baryton qui se fait un peu rauque pour leur murmurer des poèmes de Baudelaire, « Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères ! », les trouble.

Mais passe, sur un vélo, cheveux blonds au vent, une grande fille un peu sauvage sortie d’un tableau surréaliste, et le voilà marié. Il a 25 ans, il est professeur à Marseille et le dandy époustoufle ses élèves lors de la première cérémonie de vœux du lycée Saint-Charles, par sa coiffure « à l’embusqué » d’acteur de cinéma et sa cravate à larges rayures crème et mauve. Claude, sa femme, qui retient d’une main gantée son chapeau cloche bleu marine, fait sensation aussi. C’est lui qui lui a offert ce chapeau, ces gants, ainsi que le sac et les escarpins assortis : jeune mari amoureux, Georges a englouti pour cela, dans une boutique de la rue Paradis, son traitement d’un mois. En donnant des leçons particulières, il a pu acheter aussi une petite Renault, qu’ils ont surnommée « Dalila » car elle s’essouffle dans les côtes derrière une autre voiture, la « Samson ».

Ils partent à la découverte de la Provence : Cassis, les calanques, Saint-Tropez. Ils savourent la lumière rose et violette qu’ils ont aimée à Paris dans les tableaux de Signac et de Matisse. A Marseille, ils passent de folles soirées dans un cercle littéraire où un ami russe se livre à des exhibitions de danses de cosaques.

Puis, adieu soleil ! Georges est nommé dans la capitale, au lycée Henri-IV. Mais Paris, à la fin de ces années 1930, est une fête. Sans enfant, le jeune couple va de bistrots en cinémas et théâtres. Il retourne sept fois applaudir L’Opéra de Quat’sous, le film de Pabst. Le fils d’instituteurs du Cantal initie la fille de médecin de Château-Gontier (Mayenne) à l’art contemporain. A l’exposition surréaliste de 1938, le Taxi pluvieux de Salvador Dalí, avec sa cliente trempée et couverte d’escargots, les enchante.

Mais la guerre est déclarée. En juillet 1940, l’unité dans laquelle Georges a été mobilisé stationne en Haute-Vienne lorsque le sous-lieutenant a la surprise de voir arriver sa femme : pour le rejoindre, elle a traversé, au volant de sa petite voiture, le flot de l’exode ! A travers guerre et paix, ils forment un couple fusionnel qui aime, dit Claude, à « se trouver là où les choses bougent ».

A la Libération, en 1944, c’est en politique que ça bouge. Un ancien camarade de Normale étant entré au cabinet de de Gaulle, Pompidou le sollicite. Lui qui n’a pas risqué sa vie dans la Résistance est engagé comme « normalien sachant écrire ». Le Général le repère : à son retour au pouvoir, en 1958, il en fera son chef de cabinet.

Entre-temps, une autre rencontre a bouleversé la vie des Pompidou. Un ami a présenté Georges à Guy de Rothschild. Séduit par la culture et la lucidité du petit-fils de paysans du Cantal à la silhouette râblée, ce dernier le décrit ainsi : « L’œil gauche, froid et dur, est celui d’un homme qui n’oublie jamais l’humiliation. Le droit, plissé par la fumée d’une éternelle cigarette, est celui du bon vivant, qui aime l’argent et le plaisir. » Il l’engage dans sa banque. Commence un véritable « tourbillon » de fêtes, de rencontres. Son salaire de banquier permet à Pompidou de louer un magnifique quatre-pièces sur l’île Saint-Louis et d’acquérir des tableaux jusque-là inaccessibles. Il offre une Porsche blanche à sa femme et l’habille chez Dior et Chanel. « Nous découvrions l’univers de l’argent, écrit Claude. Quand on est fonctionnaire dans l’enseignement, on ne peut en avoir aucune idée ! »

Le couple s’y habitue vite : « Partir pour Venise et y descendre dans le plus grand hôtel, disposer d’une gondole qui vous attend, rencontrer une personnalité telle que Peggy Guggenheim dans son palais, et encore visiter la Grèce en naviguant sur de magnifiques bateaux. » La dolce vita ! Parmi leurs nouveaux amis, les Pompidou comptent le peintre Pierre Soulages et la sculptrice Niki de Saint Phalle, mais aussi Guy Béart, Françoise Sagan, et encore Ambroise Roux, le PDG de la Compagnie générale d’électricité. Ils croisent Alain Delon. On les voit, le dimanche, à Louveciennes, chez Pierre et Hélène Lazareff, patrons de France-Soir et de Elle. Georges appelle toujours Claude « Bibiche », mais il paraît un peu grisé par sa réussite. « Un soir après dîner, racontera Maurice Rheims à son biographe Eric Roussel, il avait mis ses bras autour des épaules de la jeune journaliste Victoire de Montesquiou et d’une autre jolie femme : Regarde comme je suis beau ! Regarde comme j’ai du charme ! Regarde ce que c’est que le succès du pouvoir ! »

Il est, c’est vrai, au sommet de sa forme et de sa puissante séduction. Mais Claude est choquée. Son mari nommé à Matignon, en 1962, d’autres scènes réveilleront ses craintes. Jean Mauriac raconte un dîner au Ritz pour les 80 ans de son père, François : « Pompidou présidait l’une des tables. Ma mère, qui se trouvait à sa droite, m’a raconté que, de tout le repas, il ne s’était occupé que d’une jeune femme blonde et ravissante qui devait être l’épouse de l’ambassadeur de Suède. » Un autre soir, à Matignon, où les Pompidou donnent des soirées cinéma, on voit le Premier ministre subjugué par le décolleté de sa voisine de table, Gina Lollobrigida.

Claude, qui porte les premières robes Courrèges laissant voir les genoux et un ensemble Chanel dont raffole son mari, possède elle aussi un pouvoir de séduction. Sur les femmes, depuis que, dans le cloître des Ursulines en Anjou, une religieuse férue de grec lui confiait : « Vous êtes mon rayon de soleil. » Et sur les hommes, attirés par son étrangeté. Elle raconte un dîner officiel à Londres, chez le Premier ministre britannique : « J’étais à peine assise que le ministre des Affaires étrangères posa sa main sur mon genou et me demanda mon numéro de téléphone personnel. » L’Anglais est porté sur le whisky, mais tout de même ! Le pouvoir met à l’épreuve le couple uni.

« Il était tigre, et elle était tigresse », se souvenait Maurice Druon. En ces années « Club Med » de libération sexuelle, les Pompidou renvoient cependant aux Français, qui aspirent, après le « Commandeur », à plus de bien-être, une image de décontraction. Au club tropézien où ils déjeunent en maillot de bain, les pieds dans le sable, entre Annabel Buffet et Sacha Distel, Georges attrape une cravate, la noue autour de son cou puissant et bronzé et se laisse ainsi photographier, torse nu. « Hâtons-nous, jouissons ! »

L’affaire Markovic marque une rupture. Le 1er octobre 1968, la découverte, dans une décharge publique, du corps d’un gigolo yougoslave familier d’Alain Delon, et le « témoignage » d’un jeune détenu de ses amis sur « une grande blonde » croisée à des soirées d’un genre spécial dans une villa des Yvelines, servent de prétexte à un ignoble montage. Pompidou en est ulcéré, d’autant que de Gaulle reste silencieux. En privé, le Général lâche un jour devant son fils : « A trop vouloir dîner en ville dans le Tout-Paris comme aiment à le faire les Pompidou, à y fréquenter trop de monde et de demi-monde, il ne faut pas s’étonner d’y rencontrer tout et n’importe qui. »

Entrés à l’Elysée en 1969, les Pompidou donneront toujours des soirées cinéma et prendront encore des vacances sur la Côte, mais désormais dans l’austère forteresse de Brégançon. Le couple présidentiel assouvira sa passion en faisant transformer les appartements privés du palais par des designers comme Wilmotte et en lançant, à Beaubourg, la construction d’un centre d’art contemporain. Mais la mort rôde, qui fait du palais présidentiel « la maison du malheur ». Atteint de la maladie de Waldenström, qui affecte le sang, le Président, silhouette énorme emmitouflée, visage gonflé par la cortisone, souffre le martyre. Le 21 mars 1974, on l’attend en vain au dîner qui réunit une centaine d’ambassadeurs au palais d’Orsay. Enfin paraît, seule, dans un grand silence, Mme Pompidou, vêtue d’une longue robe rose lamé or, la préférée de son mari. Il meurt le 2 avril auprès d’elle.

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