Les valeurs dans le champ économique : audition d’Eloi Laurent

3 juin 2025
🀄️ Les valeurs dans le champ économique : audition remarquable d’Eloi Laurent, économiste à l’OFCE, dans le cadre de la Délégation à la prospective.
🔖 Dans son ouvrage « Économie pour le XXIe siècle
Manuel des transitions justes », Éloi Laurent propose de répondre à la perplexité des étudiantes et étudiants qui ne cesse de grandir : comment peut-on continuer à enseigner une économie aveugle à l’écologie comme s’il s’agissait de mondes parallèles ? Ce manuel innovant propose en réponse une économie pour le XXIe siècle, qui intègre défis écologiques et enjeux sociaux : une économie qui part de la biosphère plutôt que de la traiter comme une variable d’ajustement ; une économie qui place au centre la crise des inégalités sociales plutôt que l’obsession de la croissance ; une économie organique, en prise avec le vivant dont nous dépendons ; une économie en dialogue avec les autres disciplines. En somme, une économie mise au service des transitions justes, qui ont pour but de préserver notre planète et nos libertés.
La première partie du manuel présente un cadre, une méthode et des outils pour insérer l’économie entre la réalité écologique et les principes de justice. La seconde partie applique cette approche social- écologique à toutes les grandes questions de notre temps : la biodiversité, les écosystèmes, l’énergie, le climat, etc., et donne à voir tous les leviers d’action pour mener à bien les transitions justes : Nations unies, Union européenne, gouvernement français, territoires, entreprises, communautés.
🔖 Eloi Laurent nous a proposé, à moi même et à mes collègues corapporteurs de la Délégation, de partager une réflexion économique historique sur la croissance et le PIB, avant de faire de la prospective.
L’objectif de l’économie, c’est de donner de la valeur, de convenir de la valeur et de la mesurer. Lorsque Simon Kusnets inventa le PIB en 1934, il proposait de mesurer la crise et non le développement, admettant qu’il ne s’agissait pas d’un indicateur de bien-être humain. Il s’agit de mesurer le flux des échanges monétisés. En 1944, lors des accords de Bretton Woods, il fut décidé que le PIB serait l’étalon de la croissance économique qui est en fait la croissance du PIB en valeur réelle (hors inflation).
🔖 Cet élément de mesure, le PIB, ne permet pas de comprendre les 3 crises fondamentales du XXIème siècle et n’en mesure rien :
– l’effondrement de la biosphère : sujet le plus fondamental à l’échéance 2050 car il s’agit en fait de la destruction de l’habitat humain,
– les inégalités sociales car le PIB ne mesure que l’agrégat et non la répartition,
– la démocratie qui ne dit pas comment la richesse est créée.
L’indicateur est donc totalement dépassé aujourd’hui, de même que le circuit fermé de la croissance qui nourrit le budget de la nation, lequel alimente la croissance. En outre, l’illusion de l’augmentation a l’infini de cet indicateur est mortifère car elle détruit le premier grand élément productif qu’est la biosphère (nous savons déjà qu’on franchira les +1,5 degré en 2030.
🔖 Travailler à des modèles alternatifs n’est pas nouveau. Dès 1848, John Stuart Mill parlait de l’Etat stationnaire. À partir de 1972, des indicateurs ont commencé à être bâtis pour mesurer le bien-être, qui signifie à la fois se sentir bien et être bien, mélange d’indicateurs objectifs et subjectifs. C’est le retour à « la vie bonne » des grecs. Le Covid a accéléré les choses parce qu’il est issu d’une fuite de laboratoire et très vraisemblablement d’une zoonose. La zoonose qui est la transmission de virus de l’animal à l’homme est la conséquence de la destruction de la biodiversité. En détruisant les habitats des animaux, on accélère leur présence dans l’habitat humain. Le Covid c’est la crise des liens : destruction de liens naturels entraînant la destruction des liens sociaux.
Le 7 avril 2020, 4 milliards de personnes étaient bouclées dans le monde. Les liens sociaux c’est ce qu’on a de plus précieux, or à partir de 35 degrés en milieu humide, le corps humain ne supporte plus. Le confinement, l’isolement, risque de se généraliser si nous ne faisons rien. Le nouveau monde sera le monde de l’insoutenabilité écologique si nous n’agissons pas.
🔖 Nous devons aller au contraire vers un modèle de lien qui repose sur deux piliers :
– la santé et ses trois composantes : individuelle, collectives (liens sociaux), écologique,
– la coopération qui revêt aussi trois composantes : les relations sociales, la justice sociale et la démocratie.
Dans cette économie du lien, la culture et le patrimoine entrent dans les relations sociales et génèrent une mémoire des liens adossée aux échanges. Cela constitue en quelque sorte un actif, qui vient équilibrer un passif constitué par la dette, ou les dettes plus exactement : dette financière et dette ecologique. La valorisation de la dette selon David Graeber peut prendre une forme très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. La dette est une promesse qui repose sur la confiance. Et une promesse, ce n’est pas la négation de la liberté, au contraire, c’est l’essence de la liberté ! Être libre, c’est justement avoir la capacité de faire des promesses. Les esclaves ne peuvent pas en faire, ils ne peuvent pas prendre d’engagements auprès d’autres personnes, car ils ne sont pas sûrs de pouvoir les tenir. Être libre, c’est pouvoir s’engager auprès d’autrui. Cette approche doit nous permettre de sortir de la financiarisation de la société qui ne fait que s’accélérer avec le numérique.
🔖 Pour cela, nous devons bien sûr agir au niveau européen, en proposant de nouvelles visions et revenir à la diversité institutionnelle qui a prévalu avant le captilalisme qui n’est vieux que de 200 ans, ce qui est rien à l’échelle de l’humanité. Le capitalisme, c’est en fait la monoculture, qui au final conduit à la fin de l’humanité. Il faut réintroduire de la diversité.
L’économie du lien, la capacité à coopérer, la transition juste, la lutte contre l’isolement social… doivent être au cœur d’un projet de post-croissance qui repose d’abord sur la santé.
🔖 La clé au final, c’est le temps. Nous devons redevenir les maîtres du temps, du temps long. Et remettre la main sur le temps, cela passe par l’espace, par les territoires. C’est ainsi que des initiatives commencent à être conduite autour du concept de « territoire de pleine santé », autour du Parlement des liens, dans les toutes les acceptions du terme santé comme indiqué plus haut et en passant par le vecteur de la coopération telle qu’évoqué ci-avant.

Contact permanence
04 71 64 21 38
1 rue Pasteur, 15000 Aurillac
Contact
04 71 64 21 38
1 rue Pasteur, 15000 Aurillac