⚫️ « Le dernier Président »
🔜 J’ai souhaité partager ici une tribune publiée ce jour dans le journal « Les Échos » par Garpard Koenig, philosophe, essayiste, dont l’engagement public nourrit la pensée politique. Il était intervenu en avril dernier avec brio à Aurillac à l’occasion du colloque Pompidou.
🔜 Je le fais aussi parce qu’il est faux de dire que les élus du Groupe LR du Sénat, dont il serait temps de changer le nom, ont écarté toute alliance au terme de leur réunion de groupe d’hier. Les avis sont divergents car nous ne faisons pas tous la même lecture des conséquences du scrutin de dimanche. J’ai déjà pu m’exprimer sur cette question, souhaitant clairement que nous agissions en responsabilité, dans l’intérêt du pays et de nos territoires, et en évitant d’une part toute présence au Gouvernement de LFI et d’autre part de faire le lit du RN. Cela peut donc conduire à des prise de position qui ne soient pas aussi manichéennes, sans être naïves.
🔜 L’idée d’aller jusqu’à un référendum inversé de 1962 mérite d’être étudiée, en se rappelant toujours que le gaullisme est d’abord un pragmatisme, et que ce qui valait en 1962, que ce soit au niveau de l’élection du Président de la République au suffrage universel, comme du rejet de la proportionnelle, ne vaut peut-être plus aujourd’hui.
On voit bien que l’obsession de la Présidentielle confère un biais à beaucoup de prises de position actuelles …
TRIBUNE :
💬 « Pour permettre à un gouvernement stable de se mettre en place et éviter qu’à la prochaine élection l’extrême droite n’emporte tout avec une rage vengeresse, il est vital que les partis élus à l’Assemblée forment une coalition stable sur la base d’un programme négocié. A en juger par les premières déclarations des responsables politiques, cette perspective semble pour le moins lointaine.
On ne cesse de se demander pourquoi « les Français » en seraient incapables, contrairement à nombre de leurs voisins. En Allemagne par exemple, de longs pourparlers dans les semaines qui suivent les élections aboutissent à des « contrats de coalition » tout sauf tièdes, puisque chaque parti y promeut ce qui lui tient le plus à coeur (dans la dernière grande coalition, les écologistes ont obtenu la légalisation du cannabis, les socialistes la hausse du salaire minimum et les libéraux l’orthodoxie budgétaire).
Or « les Français » en sont parfaitement capables. Ils n’ont même cessé de le faire durant près de trois quarts de siècle, de 1870 à 1939, sous une IIIe République dont l’historien Jean Garrigues nous rappelle qu’elle n’était pas si impotente, ayant adopté les grandes lois qui fondent encore notre société libérale, traversé une guerre mondiale sans recourir à la dictature, fait émerger des orateurs hors pair et permis des alternances politiques fortes. Notons qu’aujourd’hui ces mêmes « Français » deviennent vite, au Parlement européen, redoutables au jeu des soutiens conditionnels, des intérêts croisés et des quid pro quo. Cessons donc de fantasmer des identités culturelles éternelles. Tout est question d’institutions. En l’occurrence, la démocratie parlementaire crée un système d’incitations qui favorise le compromis.
Tel n’est pas le cas de notre régime présidentiel. Il était évident dimanche soir que gouverner n’intéresse personne. Il faut présider. L’aimant de la vie politique reste l’élection présidentielle, par rapport à laquelle se définissent toutes les stratégies et qui instaure mécaniquement un rapport binaire au pouvoir : déférence ou rébellion, participation soumise ou opposition furieuse.
C’était l’objectif du général de Gaulle quand il décida en 1962 du référendum, tant décrié à l’époque, instituant l’élection présidentielle au suffrage universel : il fallait donner au président une légitimité incontestable, lui permettre d’incarner la souveraineté nationale par-delà les querelles partisanes. De Gaulle cherchait moins, selon ses déclarations de l’époque, à renforcer ses propres pouvoirs qu’à assurer à ses successeurs l’onction que l’histoire ne leur aurait pas donnée.
Il a construit la Ve République contre le principe même du débat parlementaire, dans lequel il voyait, comme il l’écrit plaisamment dans ses Mémoires, une « antique propension française à se disperser en tendances verbeuses et à s’amuser des jeux politiques comme on le fait des luttes de cirque ou des concours au mât de cocagne ». Comment reprocher à Mélenchon, Macron, Le Pen et les autres de faire exactement ce que le général de Gaulle attendait d’eux, en refusant tout accommodement, tout arrangement, toute discussion ?
Cette élection présidentielle caractérise un pouvoir césariste, rejouant sans fin la rencontre ratée d’« un homme et d’un peuple ». Elle crée une verticalité qui infuse dans les autres sphères de la société, l’école, l’entreprise ou la politique locale. Ce n’est pas un hasard si, en Italie, la Première ministre d’extrême droite a fait adopter le mois dernier au Sénat ce qu’elle appelle la « mère de toutes les réformes » : l’élection du président du Conseil au suffrage universel direct, doublée de surcroît d’une règle majoritaire qui donnerait un pouvoir sans précédent au chef de l’exécutif.
A l’inverse, pour permettre l’émergence de ces coalitions parlementaires dont notre pays a tant besoin, pour retrouver plus largement les vertus démocratiques de la délibération, la mère de toutes les réformes en France serait d’abolir cette élection présidentielle qui nous rend fous. Voilà une initiative qui reste précisément la prérogative du président de la République. Celui-ci pourrait déclencher un référendum inverse à celui de 1962 pour autodissoudre la fonction qui est la sienne, à laquelle il ne peut de toute façon plus prétendre… Sans avoir besoin de changer de numéro de République, le pouvoir réel reviendrait à un Premier ministre issu du jeu des forces parlementaires, tandis qu’un président élu au suffrage indirect pourrait enfin remplir le rôle qui lui est constitutionnellement dévolu : garantir l’équilibre des institutions. Ainsi Emmanuel Macron pourrait-il se consoler en devenant le dernier président. »