CHRONIQUE : Il s’appelait Georges … Et voulait arrêter d’emmerder les français ! Episode 5 : Persan.

1 février 2024

On savait Georges Pompidou amateur éclairé d’art contemporain, esthète et bon vivant. Autant de qualités qui ont fait de lui le plus atypique des présidents de la Ve République. On découvrira plus tard qu’outre une intelligence supérieure et une profonde humanité,  l’homme possédait des qualités littéraires exceptionnelles. Ses écrits, lettres ou simples notes sont empreints d’une finesse et d’une acuité rares. Qu’il s’agisse de ses pensées intimes occupées en grande partie par sa femme Claude ou de ses souvenirs en politique, la plume du Président est d’une virtuosité indéniable.

Les portraits qu’il a dressés de ses alliés ou adversaires politiques offrent un témoignage unique sur les dessous du pouvoir et plus généralement, sur l’Histoire avec un grand H.

Une histoire intimement liée à celle de Charles de Gaulle, que Pompidou a côtoyé pendant de nombreuses années. A ce sujet, il livre des anecdotes qui en disent long sur la personnalité du Général et sur les relations qu’entretenaient les deux hommes. Ainsi cette passe d’armes décrite par Pompidou. Après le putsch des généraux en Algérie la question de l’exécution du général Jouhaud est à l’ordre du jour. De Gaulle est pour. Son premier ministre s’y oppose refusant de signer le décret d’application. Extrait : « Dans ce cas il faudra me remettre votre démission. Bien mon général. » Le dialogue s’arrêta là. Mais, à la stupeur du Général devant la réponse de son Premier ministre, il sut qu’il avait gagné. Il devait ainsi lui dire plus tard : « Entre deux inconvénients, votre démission et la grâce de Jouhaud, j’ai choisi le moindre ».

Cette relation faite d’admiration et de respect entre un Président et son Premier ministre, Georges Pompidou ne l’a pas partagée avec son propre chef de gouvernement, Jacques Chaban-Delmas qu’il décrit comme narcissique et « enfantin », lui laissant le soin de tout décider et préférant soigner son « image de marque ».

Au fil des pages et des anecdotes, Georges Pompidou livre une vision, une expérience de la politique et plus généralement, de la vie pleine de lucidité et d’humour jusqu’à cette ultime boutade. Moins d’une semaine avant sa mort et alors que les candidats à sa succession se disputent déjà sa dépouille, Georges Pompidou a cette petite phrase : « J’ai le ferme espoir d’embêter encore tout le monde ». Ce qui est sûr, c’est que 50 ans après son décès, le Président Pompidou continue de passionner.

Des bancs du lycée d’Albi à l’Elysée, nous avons ainsi eu accès à un résumé en 500 pages inédites de lettres, notes et portraits, à près d’un demi-siècle de la vie intime, amoureuse, familiale et politique de celui qui gouverna la France avant de la présider de 1969 à 1974.

Mais d’abord, pour saisir la variété de ces écrits, cette mise en bouche : août 1928, Georges Pompidou, 17 ans, écrit à son condisciple Robert Pujol : « Mon vieux, parle-moi de toi et de ce que tu fais ; moi, je cours, je pêche, chasse avec fureur ; je deviendrai un athlète si je continue. Mais le grec et le latin passent un peu au bleu. D’où le courroux paternel… »

Janvier 1930, à propos d’une jeune fille : « Si tu l’avais vue au théâtre en robe du soir, elle était merveilleuse. Elle a un chic très personnel, un corps divinement souple, ferme, voluptueux (…) je souffrirais de ne pas la posséder. » Mars 1943, toujours à l’ami Pujol : « Pauvre France ! Il faudra un effort énorme pour la rétablir… quel boulot après la guerre… »

Septembre 1952, au Général de Gaulle : « Mon instinct me dit que vous n’avez pas le droit d’abandonner la France à sa décadence… » Juillet 1968, réflexion sur sa fonction de Premier ministre : « En politique, le but n’existe pas ou plutôt s’éloigne au fur et à mesure qu’on croit avancer. » Automne 1968, note intime : « Rien, tout au long de ma vie, ne m’a plus importé que ma femme… »

La palette multiple de ce livre qui court sur près d’un demi-siècle, montre la vivacité de l’esprit et de la plume de Georges. Ces quelques extraits choisis font partie d’une galerie de portraits rédigés par le chef de l’Etat quelques mois avant sa mort. Ignorant si les « circonstances », autrement dit sa maladie, lui permettraient d’aller au bout de ses Mémoires, il a utilisé quelques loisirs durant la période électorale de 1973 pour dire comment il voyait certains hommes politiques.

« Si ces textes devaient être publiés un jour tels quels, il faut savoir qu’ils ont été écrits au courant de la plume et qu’il s’agit là d’un premier jet, qu’on ne me reproche donc pas les faiblesses de forme. Je revendique par contre la sincérité de mes jugements. On les trouvera sévères, mais n’est-ce pas leur intérêt ? Chacun de mes personnages saura faire valoir ses qualités et n’a nul besoin de moi pour cela. Et puis, il faut bien le dire, quand on occupe la première place, on est surtout sensible aux lacunes et aux faiblesses des hommes qui vous aident et de ceux qui vous combattent ou aspirent à vous succéder. » Extraits :

Le grand prédécesseur : Charles de Gaulle

De Gaulle était né pour les grandes aventures. Lorsqu’il eut terminé le premier tome de ses Mémoires de guerre, il nous le remit, à Malraux et à moi, pour que nous le lisions. Puis il nous convoqua, ensemble, et nous demanda « si cela valait la peine d’être publié ». Je laissai à Malraux le soin de répondre. Puis j’osai une remarque : il me semble, dis-je, que dans le récit du départ pour Londres et de l’appel, on ne sent pas assez le moment où le Général de Gaulle est devenu l’homme du 18 Juin. Le récit rapporte les faits. Mais à quel moment s’est fait en vous, mon Général, le changement, à quel moment avez-vous senti que, désormais, vous incarniez la France ? Le Général me répondit : « Pour vous dire la vérité, depuis toujours. » Parole où certains verront la preuve d’un immense orgueil, mais où je vois le signe de la prédestination.

Le challenger : François Mitterrand

Comment peindre quelqu’un que je ne connais pas ? Je ne puis formuler que des impressions liées à son comportement physique et politique. L’homme est intelligent, calculateur mais aussi, me semble-t-il, aventureux, orateur inégal mais souvent brillant, surtout dans l’attaque. Il a sans aucun doute assez de ressort pour ne jamais se décourager et pour rétablir inlassablement une situation personnelle dégradée.

L’éventuel successeur : Jacques Chaban-Delmas

Au moment où j’écris ces lignes, la carrière de Jacques Chaban-Delmas est probablement loin d’être terminée. Vingt-six ou vingt-sept ans de vie parlementaire n’empêchent pas qu’il soit plus jeune que moi et, peut-être, mon successeur à l’Elysée. C’est, d’autre part, quelqu’un que je connais peu. Si nous nous sommes vus bien souvent, au fil des années, ce fut toujours dans le cadre de l’action politique et aucune intimité ne s’est créée entre nous. Mais cela même a une signification, qui traduit la différence, pour ne pas dire l’opposition de nos tempéraments. Jacques Chaban-Delmas se veut jeune, beau, séduisant et sportif. […] Il est malheureusement de ces hommes politiques (j’en connais peu d’autres) qui à longueur de semaines ne se préoccupent que des éditoriaux d’une douzaine de journalistes trop heureux d’être pris au sérieux, ce que je n’ai jamais fait et dont ils m’en ont toujours voulu.

L’intérimaire : Alain Poher

Je ne sais ce qu’il adviendra de ce personnage, mais j’ai rarement rencontré quelqu’un de plus dissimulé, de plus tortueux, de plus assoiffé d’honneurs et prêt à tout pour les obtenir. Son hypocrisie, durant l’intérim de 1969, était odieuse. Bien décidé à se présenter dès le premier jour, il a joué le rôle du brave homme arraché, malgré lui, à sa tranquillité avec l’impudeur de celui qui sait que l’opinion est dupe des apparences. Son attitude de père noble, au-dessus des mesquineries et des compromissions politiciennes, dissimule un sens aigu de ses intérêts. Quel interprète il aurait fait du rôle de Tartuffe !

Chapeau Georges !

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