✍️ Billet d’humeur : Le Bal des Tartuffes !
👉Voilà le spectacle qui est donné dans notre pays depuis quelques semaines pour aboutir à satisfaire une complainte d’agonisants s’écriant : « Encore une minute Monsieur le bourreau ! » Plus personne n’y croit, chacun essaie de passer le mistigri à l’autre, pour retarder le moment inéluctable du grand remplacement de la classe politique qui est inexorablement engagé. A force de tordre le bras à nos institutions depuis 2005 et le refus de reconnaître le peuple souverain, la classe politique en place à Paris, épuisée et inaudible, semble bien dépourvue avant d’être bientôt défaite.
La France est dans une situation paradoxale où elle se concentre sur des problématiques intérieures et des solutions saugrenues, comme la taxe Zucman, alors que le monde connaît des transformations majeures. Ce décalage reflète une incapacité à s’aligner sur les véritables enjeux globaux. Nous sommes à contretemps, absorbés par nos querelles internes, tandis que le combat pour le leadership mondial se joue ailleurs, notamment entre la Chine et les États-Unis, alors que la Russie menace tous les jours davantage l’Europe. Ce n’est pas la première fois que la France se trouve dans cette posture. À la veille de 1939, elle était déjà affaiblie économiquement, paralysée politiquement et dominée par des questions sociales, comme sous le Front populaire. En 1937, l’Exposition universelle, comparable aux JO de 2024, masquait des grèves et une incapacité à agir sur les véritables problèmes.
Aujourd’hui, nous reproduisons ce schéma, avec une paralysie politique. Sans doute les dirigeants politiques capables de nous sortir du trou sont-ils déjà là, dans la France profonde plus vraisemblablement qu’à Paris, mais ils ne parviennent pas à s’exprimer dans ce maelström. Comme dans l’entre-deux-guerres, où de Gaulle était considéré comme un personnage secondaire, et Churchill un homme du passé, alors qu’ils sont devenus les sauveurs du monde libre.
👉À un moment où la France aurait besoin d’investir massivement et de réfléchir à sa place dans le monde, elle se trouve affaiblie politiquement et budgétairement. Alors que le sujet est de faire « grossir le gâteau » (la richesse produite), on se concentre sur la manière de le répartir (en taxant et allouant) ! La dissolution récente a torpillé tout espoir d’ajustement budgétaire significatif. De plus, certaines initiatives, comme la reconnaissance de la Palestine, semblent déconnectées des priorités stratégiques et relèvent d’une forme d’inconscience face à l’état réel du pays. Le président reste inflexible sur ses choix, poursuivant des initiatives parfois baroques dans un contexte de cacophonie mondiale. Pourtant, l’histoire montre que la France a su se relever de périodes similaires. Faut-il que nous fassions l’expérience de crises majeures, comme des guerres, pour y parvenir ? Aujourd’hui, nous semblons moins aguerris, moins préparés à affronter les chocs de l’existence.
Au mieux, l’adoption d’un budget permettra à la machine administrative et étatique de fonctionner à peu près normalement. Mais les espoirs raisonnables s’arrêtent là. La dissolution a tué dans l’œuf tout projet d’ajustement budgétaire sérieux. Tant que l’actuel président restera en place ou qu’une crise majeure ne nous y contraindra pas, il n’y aura pas de réformes structurelles. Ces réformes, notamment sur le modèle social – santé, retraites, équilibre entre risque individuel et collectivisé -, sont indispensables mais ne verront pas le jour avant l’élection présidentielle de 2027. Même alors, rien ne garantit une résolution, car le paysage politique est, on le sait, fragmenté en trois blocs.
La France est prisonnière d’une spirale vicieuse. Notre base productive se dégrade, ce qui limite notre capacité à répondre à la demande intérieure. L’investissement ne représente plus une part significative de la croissance, qui repose désormais sur la consommation. Pour stimuler cette consommation, il faudrait augmenter les salaires, mais sans gains de productivité – en raison de l’état de notre tissu industriel -, cela nécessite des transferts de revenus financés par le déficit. Nous nous endettons donc pour maintenir la consommation, mais comme l’offre française est défaillante, cette demande profite aux industries étrangères, notamment chinoises et allemandes. Ce double déficit – budgétaire et commercial – est une malédiction française ancienne, mais elle a atteint des niveaux records. Par exemple, notre agriculture, qui affichait le deuxième excédent commercial mondial il y a trente ans, est aujourd’hui déficitaire, même en tenant compte des vins et spiritueux. Ce mécanisme alimente les usines étrangères tout en creusant nos déficits.
👉Alors qu’un hypothétique pacte de gouvernement, avec un minimum de compromis, est attendu autour de 4 blocs : un bloc budgétaire avec une priorité accordée à la baisse de la dépense, un bloc autour du travail qui doit davantage payer, un bloc autour des services publics pour retrouver un hôpital et une école efficaces, un bloc autour du régalien (sécurité, immigration, lutte contre l’entrisme…), il semble que nous soyons plus que jamais plongés dans le marigot de la IIIème et de la IVème République. Même si certaines avancées ont déjà été obtenues pour éviter le pire : abandon de la suppression de deux jours fériés, abandon de l’arrêté mettant en péril les pharmacies, rejet de la taxe Zucman, refus de rétablissement de l’ISF, aucune vision claire ne se détache, le Premier ministre renvoyant habillement le mistigri au Parlement, en se départissant au passage du 49-3. Le Roi est nu et s’allège encore de quelques joyaux, renonçant à la force d’un régime, certes parlementaire, mais encadré par la raison et garantissant la capacité à trancher. Alors qu’au contraire, il nous faudrait adopter une réforme de la « majorité négative » qui obligerait pour renverser un gouvernement de s’unir et de proposer une alternative plutôt qu’un attelage hétéroclite. En 1958, De Gaulle a taillé des institutions à la mesure de la Nation. Nous devons retrouver ce souffle : refuser la paralysie et l’impuissance, préférer l’efficacité au simulacre, le courage au cynisme. Pour cela je propose aussi de reconnaître le vote blanc et de rendre obligatoire le vote pour renouer avec la souveraineté populaire, plutôt que d’imaginer des scrutins à la proportionnelle synonyme de de « combinazione ». Par ailleurs, la garantie attendue quant aux moyens apportés aux collectivités territoriales qui sont les dernières à tenir encore le territoire se font toujours attendre risquant d’éteindre le dernier moteur de croissance du pays par-delà les réponses apportées en termes de services à la population.
Par-delà la France, l’Europe est aussi à la traîne, accroissant encore nos propres faiblesses, car elle persiste à croire que la mondialisation heureuse reviendra. Les armées, les frontières et la souveraineté redeviennent des priorités, mais l’Europe tarde à le comprendre. Elle dispose pourtant d’un levier : son marché intérieur et son potentiel technologique. Mais pour en tirer parti, elle doit aligner ses politiques industrielles et cesser de se saboter avec des réglementations bureaucratiques.
L’automobile est emblématique des erreurs européennes. Trois facteurs expliquent sa crise. Premièrement, la Commission européenne joue contre les États, imposant des réglementations qui affaiblissent les industries nationales plutôt que de les soutenir. À l’origine, l’idée était noble : moderniser les pays en les forçant à dépasser leurs particularismes. Cela a fonctionné pour la France dans le passé, mais aujourd’hui, dans un monde de confrontation géopolitique, c’est dramatique. La Commission doit être aux côtés des États, pas contre eux.
Deuxièmement, une bureaucratie excessive impose des objectifs irréalistes, comme l’interdiction des moteurs thermiques en 2035, au lieu d’adopter une neutralité technologique qui laisserait place à des solutions comme les carburants verts ou des moteurs plus efficaces. Cette approche bureaucratique pense avoir raison contre les industriels, ce qui est une erreur.
Troisièmement, l’idéologie verte, portée notamment par les Verts allemands, sacrifie l’industrie au nom d’un impératif climatique mal calibré. À l’époque de la crise des euromissiles dans les années 1980, la gauche allemande disait « plutôt rouge que mort ». Aujourd’hui, la Commission semble dire « plutôt vert quitte à être mort », préférant zéro émission à tout prix, même au détriment du premier secteur industriel européen. Résultat : des usines ferment, comme possiblement à Poissy, au chômage technique, et des milliers d’emplois sont supprimés chez Ford (5 000) ou Bosch (13 000). Les surcapacités, conjuguées à des coûts élevés, fragilisent les constructeurs européens, qui ont leur part de responsabilité en produisant des véhicules trop chers. Pendant ce temps, la Chine domine la production de batteries, un domaine où l’Europe s’est laissée distancer. Il y a quarante ans, nous protégions nos technologies des exigences chinoises ; aujourd’hui, c’est nous qui sollicitons leur expertise, y compris, demain peut-être, pour des projets comme les réacteurs EPR. L’automobile, qui représentait une barrière à l’entrée pour les Allemands, risque de devenir marginale. Ce secteur, qui pèse environ 10 % de l’emploi avec les sous-traitants, subit un choc terrible, et certains acteurs ne s’en relèveront pas.
Il est temps que l’Europe abandonne l’illusion post-nationale pour reconnaître que nous sommes dans un monde de confrontation. Les armées, les frontières et la souveraineté sont redevenues des priorités. Elle doit aligner ses politiques industrielles sur ces réalités géopolitiques et cesser de se saboter par des réglementations contre-productives. L’Europe dispose d’un atout majeur : son marché intérieur, qui reste attractif pour les géants technologiques, notamment face à une Chine qui développe ses propres champions et impose des barrières technologiques. Mais pour tirer parti de cet avantage, l’Europe doit investir dans ses industries stratégiques et accepter que l’économie soit subordonnée à la géopolitique. Sans cette prise de conscience, elle risque de rester marginalisée dans un monde où la Chine, les États-Unis et d’autres puissances redéfinissent les rapports de force.
👉Et pendant ce temps, la France s’interroge, prise en otage par des minorités pour tenter de durer, je dirai presque hélas coûte que coûte. J’aime particulièrement cette formule de Cioran, qui me semble sied à l’époque : « La révolution fut provoquée par les abus d’un règne où les privilèges appartiennent à une classe qui ne croyait plus en rien, même pas à ses privilèges (…), car elle avait un faible ostensible pour les idées de ceux qui allaient l’anéantir. La complaisance pour l’adversaire est le signe distinctif de la débilité, c’est-à-dire de la tolérance, laquelle n’est, en dernier ressort, qu’une coquetterie d’agonisants. »
En ce 3 octobre 2025, nous en sommes là !
Stéphane Sautarel



