
La question est au cœur du débat actuel visant à préparer le prochain budget : Faudra-t-il une « année blanche » budgétaire et fiscale pour rattraper les « années noires » qui ont précédé ?
Alors que le gouvernement reste mystérieux sur la manière dont il entend glaner 40 milliards d’euros l’an prochain pour ramener le déficit à 4,6 % du PIB, l’idée d’un gel des dépenses, voire aussi des barèmes fiscaux, revient avec insistance. Et je la partage car je juge la mesure inévitable, faute de mieux, faute d’avoir la capacité de mettre en œuvre des réformes de structures, telles que je le propose par exemple dans les relations entre l’Etat et les collectivités (voir article du Journal du Département du mois).

Selon les estimations, le niveau de l’inflation et les modalités retenues, une telle mesure pourrait en effet rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros l’an prochain. Un gel en valeur de la dépense de l’Etat générerait près de 10 milliards d’euros, celui de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) jusqu’à 6 milliards d’euros, celui des prestations sociales autour de 7 milliards d’euros et le gel des ressources affectées aux collectivités près de 4 milliards d’euros. Soit, au total, de l’ordre de 25 milliards.

C’est à 10.000 kilomètres de Paris, à Tokyo précisément, que le lépidoptère a pris son envol, lorsque les taux d’intérêt à long terme de la dette nippone se sont brusquement tendus sous l’effet d’un désintérêt subit des investisseurs pour la dette émise par le Trésor japonais.
Un phénomène sans précédent et totalement inattendu. Il faut dire que le marché obligataire de la troisième économie mondiale est à la finance planétaire ce que la chaîne des volcans d’Auvergne est à la géologie. Un géant assoupi. En dépit d’un endettement record – 250 % du PIB ! – l’Archipel se finance depuis des décennies à des taux défiant toute concurrence grâce à l’appétit insatiable et discipliné des grands investisseurs locaux, banques, compagnies d’assurances et… la Banque du Japon. Et c’est ce subtil mécanisme qui s’est soudainement grippé.

A Tokyo, plusieurs facteurs ont mis le feu aux poudres. Des anticipations d’inflation en hausse, la volonté de la Banque du Japon de réduire ses achats de dette, et surtout… les déclarations du Premier ministre qui a comparé la situation budgétaire de son pays à celle de la Grèce il y a une décennie.
Mais ces poussées d’adrénaline obligataires sont aussi le signe d’un changement plus profond. Le signe que l’argent est devenu rare et donc plus cher. Le temps du « free lunch » est terminé pour les emprunteurs, à commencer par les plus gros d’entre eux, les Etats, qui ne pourront plus se financer ad libitum et à bon compte. Les États Unis sont aussi concernés par cette évolution. Pour une raison simple, les besoins de financement sont en train d’exploser un peu partout dans le monde. Transition énergétique, révolution technologique, effort de réarmement… les investissements à consentir pour assurer l’avenir de l’économie mondiale se comptent en centaines de milliers de milliards. Dans un tel contexte, les investisseurs n’ont que l’embarras du choix. Ils sont donc plus sélectifs et veulent être rémunérés à la hauteur du risque qu’ils encourent en prêtant leur argent. Le rapport de force s’est inversé.

Dans ce contexte, l’accident japonais agit comme un accélérateur de tendances. Depuis des décennies, les investisseurs nippons sont en effet des donneurs universels pour le marché obligataire. Contraints d’aller chercher à l’étranger les rendements qu’ils ne trouvaient pas localement, ils étaient des acheteurs compulsifs d’obligations occidentales, françaises en particulier. Maintenant que les taux remontent au Japon, cette demande va se contracter. Ce qui nous ramène à notre papillon. Car la France aborde ce changement d’ère dans un état de vulnérabilité extrême. Principal émetteur de dette de la zone euro, elle est très dépendante de l’humeur de ses créanciers. Alors, pour le moment, nous sommes relativement protégés. L’appréciation de l’euro et la baisse graduelle des taux de la BCE constituent un bouclier efficace.