Elections américaines : l’heure de vérité de l’Europe

7 novembre 2024
🇺🇸🇪🇺🇺🇸 Elections américaines : l’heure de vérité de l’Europe.
🇺🇸 L’élection de Donald Trump ouvre deux voies possibles à l’Europe : celle de la dignité et de la responsabilité, et celle de la servitude volontaire. Dominique Moïsi explique qu’évidemment, elle n’a pas le choix. Mais quand sera-t-il réellement ? L’élection américaine ouvre pour nous un rendez-vous essentiel.
🌐 Pour le monde et plus encore pour l’Europe, il y aura un avant et un après 5 novembre. La victoire spectaculaire de Donald Trump constitue l’heure de vérité pour le Vieux Continent. Le test de sa volonté et de sa capacité à maîtriser son destin.
🇪🇺 L’Europe affronte une solitude inédite depuis 1945. Les Européens ont longtemps vécu comme des adolescents, somnolant à l’abri d’un parapluie américain présupposé éternel. Cette époque est aujourd’hui révolue. Avec la prise de distance annoncée du nouveau président, qui n’a pas caché sa volonté de renouer avec les hommes forts et autoritaires dans le monde, l’Europe se retrouve seule face aux puissances qui menacent ses projets et ses valeurs. Avec Kamala Harris, beaucoup d’Européens auraient pourtant aussi rapidement perdu leurs illusions. L’éloignement américain vis-à-vis de l’Europe n’a pas été initié par Donald Trump lors de son premier mandat, mais par ­Barack Obama. Il a été assumé et consolidé par ses successeurs, y compris Joe Biden. Comme a été portée par tous les responsables américains l’exigence d’un plus grand partage du « fardeau » sécuritaire par les Européens. « On a sous-estimé, en Europe, le fait qu’à tous les échelons de la politique américaine, nous sommes de moins en moins pris en compte. L’Europe et la France sont évacués du logiciel. Elles ne sont que des instruments vis-à-vis de la Chine », expliquait récemment Alexandra de Hoop Scheffer, la présidente du German Marshall Fund (GMF).
🇪🇺 Or, face aux démocraties européennes, désarmées depuis la fin de la guerre froide, croyant aux dividendes d’une paix éternelle, les puissances révisionnistes se sont, elles, réarmées massivement. Aujourd’hui, elles s’organisent face à l’Occident, comme le montre l’axe formé par la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord, qui vient d’envoyer 10 000 soldats pour aider le Kremlin dans sa guerre en Ukraine. Si Donald Trump mettait brusquement fin à l’aide militaire à l’Ukraine, l’Europe serait dans l’incapacité de la compenser. Et si Donald Trump rompt le lien transatlantique en reniant l’article 5, nous n’aurons aucune alternative à offrir, puisqu’il n’y a pas d’armée européenne. Pour faire une armée complémentaire, il faudrait trente ans. Notre défense territoriale, aujourd’hui, dépend de Donald Trump.
🇪🇺 Face son retour, l’Europe pourrait réinvestir massivement dans sa défense. C’est la proposition du dirigeant polonais Donald Tusk, qui prévient que « l’ère de la sous-traitance géopolitique est révolue ». C’est la conviction du ministre de l’Europe Benjamin Haddad : « Quand on n’est pas autour de la table, on est au menu. Si les Européens ne prennent pas en charge leur sécurité, d’autres décideront de notre destin à notre place. » L’Europe réfléchit pourtant de plus en plus à la française en devenant de plus en plus interventionniste et plus stratégique. C’est également ce qu’affirme Raphaël Glucksmann : « Nous voilà condamnés à devenir adultes, à faire en quelques semaines, quelques mois ce que nous n’avons pas voulu faire pendant des décennies : construire notre propre sécurité, bâtir notre propre puissance. »
🇪🇺 Le sursaut aura-t-il lieu ? Rien n’est moins sûr, tant l’Europe est divisée et ses pays moteurs en crise. La France a vu son influence s’éroder avec la dissolution et la dérive budgétaire. La coalition allemande est bloquée et engagée, selon un diplomate français, vers une « dislocation lente ». Les Allemands n’arrivent pas à se projeter. Ils ont du mal à changer. À nouveau tenté par le pacifisme, Berlin a annoncé, avant la réélection de Trump, une baisse des aides militaires à l’Ukraine. Quant à ­Viktor Orban, il a depuis longtemps choisi son camp, celui de Vladimir Poutine et de Donald Trump. Le dernier test de l’unité et de la fermeté de l’Union européenne n’a pas été concluant, à voir la mollesse des réactions aux fraudes massives ayant entaché les dernières élections en Géorgie.
🇺🇸 Pour aller à l’essentiel, deux voies s’ouvrent aujourd’hui à l’Europe : la première est celle de la dignité et de la responsabilité, la seconde celle de la servitude volontaire. Le premier chemin suppose que nous ayons pris conscience de la responsabilité qui est désormais la nôtre : incarner, sinon maintenir en vie, le modèle de démocratie libérale classique qui nous a accompagnés, avec l’aide des Etats-Unis, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
🇺🇸 Certes, au fil du temps, la générosité éclairée de l’Amérique – celle du Plan Marshall – s’est réduite comme une peau de chagrin. Washington s’est consécutivement, parfois simultanément, inquiétée d’une Europe trop forte ou trop faible. Et l’Amérique, victime de ses aventures militaires malheureuses, en Asie d’abord, au Moyen-Orient ensuite, s’est progressivement fatiguée puis éloignée de l’Europe avec la volonté de se (re) concentrer sur l’Asie. Mais en dépit de toutes ses contradictions et de toutes ses limites, en dépit aussi de la crise toujours plus profonde de son système politique, l’Amérique est demeurée sinon un modèle, tout du moins une assurance-vie ultime.
🇺🇸 Depuis le 5 novembre, l’Amérique n’est plus cette protection. On peut même se demander, si elle n’est pas devenue, pour nous Européens, un contre-modèle absolu. Ou bien, pire encore, si nous manquons notre rendez-vous avec l’Histoire, si nous ne savons pas dépasser nos contradictions et nos faiblesses, une préfiguration de notre avenir proche. La Présidence par la Hongrie de Victor Orban du sommet de l’Union Européenne, exactement deux jours après les élections américaines, est le symbole le plus inquiétant de cette évolution possible de l’Union Européenne. Les Américains l’ont fait, pourquoi pas nous ? Pratiquer le chacun pour soi à la mode américaine serait la fin de l’Europe.
🇺🇸 Abandonnée par une Amérique qui s’engage dans l’unilatéralisme, le protectionnisme et l’ultra-nationalisme, l’Europe pourrait être tentée de se trouver un nouveau protecteur : beaucoup plus proche géographiquement sinon culturellement, si l’on exclut la culture politique.
🇷🇺« La tentation de Moscou » nous ferait non seulement abandonner l’Ukraine, mais aussi prendre le chemin de la servitude volontaire. Nous n’étions pas prêts à mourir pour Kiev ? Mais la guerre ne risque-t-elle pas de succéder au déshonneur ?
🇺🇸 Entre suivre l’Amérique dans sa pente populiste, et/ou chercher la protection de Moscou, les deux démarches peuvent se révéler plus complémentaires qu’il n’y paraît, il existe une troisième voie. La seule en réalité qui soit tout à la fois noble et réaliste : celle de la dignité. Puisque nous sommes désormais dans un monde qui n’est pas « post-américain », ni même « sans l’Amérique », mais où les Etats-Unis sont devenus les « mauvais élèves » de la classe démocratique libérale, pouvons-nous nous unir avec suffisamment de force pour, tout à la fois, faire face aux ambitions russes et maintenir le modèle démocratique la tête hors de l’eau ?
🇺🇸 La tâche est gigantesque. Mais avons-nous un autre choix ? Il existe en Europe quatre pays qui peuvent, s’ils dépassent leurs égoïsmes naturels, jouer un rôle de premier plan dans cette mission historique. L’un des quatre n’est certes plus membre de l’Union mais constitue un partenaire essentiel à la réussite de ce projet : la Grande-Bretagne. Les trois autres sont la France, l’Allemagne et la Pologne. L’Europe peut-elle comprendre l’urgence de la situation dans laquelle elle se trouve désormais, prise comme elle peut l’être entre Charybde et Scylla, c’est-à-dire entre Trump et Poutine ?
🇪🇺 La guerre en Ukraine, celle du Moyen-Orient, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, exigent de la part des États européens un niveau d’unité inédit. Si la stratégie du déni continue, l’Europe risque une fragmentation très importante. Le crash test, le moment de vérité pour l’Europe, sera l’Ukraine. L’UE continuera-t-elle à aider seule les Ukrainiens en cas de défection américaine ? Probablement pas. Mais le pire n’est jamais certain.

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