Budget 2025 : les scénarios qui font craindre un chaos fiscal.

29 août 2024

🧮 Budget 2025 : les scénarios qui font craindre un chaos fiscal.

🩸A quelques semaines de son examen au Parlement, rien ne dit que la France accouchera d’une loi de finances en bonne et due forme. Différentes options, plus ou moins critiques, sont sur la table.

🩸Cette situation est d’autant plus inquiétante que notre pays se trouve placé en « procédure pour déficit excessif » par la Commission européenne depuis juin, contraignant la France à économiser 110 milliards d’euros ces prochaines années. Rappelons une fois encore que la charge de la dette représente déjà l’équivalent du budget des ministères de l’Ecologie et de l’Intérieur réunis. Si les taux d’intérêt montent, elle pourrait augmenter plus vite que les recettes, conduisant à une explosion du coût de la dette, dépassant d’ici 2027 le budget de l’éducation nationale. Il serait donc préférable pour la France de solliciter un ajustement sur sept ans, afin de maximiser la croissance économique, préserver l’emploi et le pouvoir d’achat. Vouloir revenir sous la barre des 3 % en quatre ans – soit un an de plus que la trajectoire préconisée par Bruno Le Maire, alors que c’est lui même qui a précipité le pays dans cette situation intenable, et encore affichée dans le programme de stabilité tricolore envoyé à Bruxelles au printemps dernier – nécessiterait un rude plan de rigueur. Le déficit devrait baisser linéairement de 0,94 point de PIB par an, soit entre 25 et 30 milliards d’économies chaque année d’ici à 2028. C’est l’enjeu majeur de la rentrée que le contexte politique risque de rendre impossible à atteindre. Nous aurons l’occasion de revenir tout au long de l’automne sur le fond et sur les chiffres.

🩸Mais je reviens ici aux scénarios qui s’offrent à nous dans le contexte du moment. D’ordinaire, quand le chef du gouvernement dispose d’une majorité absolue, le vote du budget au Parlement s’apparente à une promenade de santé. Lors des deux derniers examens, Élisabeth Borne ne pouvait compter que sur une majorité relative : la cadence fut donc plus soutenue, au son martial du 49.3. Cette fois, c’est un 110 mètres haies qui s’annonce. Avec vent de face, sans échauffement, et dans un stade globalement hostile, quel que soit le dossard de celui ou celle qui portera le texte.

🩸Le 1er octobre au plus tard, l’exécutif doit transmettre au Parlement, qui ouvrira à cette date sa session ordinaire, un projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Mais avant même de discuter de ces orientations budgétaires, les députés sont tenus de se prononcer sur un autre projet de loi, celui relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de 2023, déposé par le gouvernement précédent en juillet 2024. En gros, signer l’état des lieux de sortie. L’issue de ce « vote » est indifférente, il doit seulement avoir lieu pour permettre la suite du processus. Cela n’a pas été sans difficulté déjà ces dernières années. Plus le temps file, et plus cette banale étape risque de devenir compliquée à organiser. Le Président de la République peut convoquer une session extraordinaire du Parlement en septembre pour nous permettre de nous prononcer sur ce texte comptable, quitte à ce qu’il soit défendu par le gouvernement démissionnaire. Avec une question : « Défendre son bilan relève-t-il des ‘affaires courantes’ ? »

🩸Le premier obstacle levé, les suivants ne manqueront pas. Ce PLF a beau s’annoncer comme un texte croupion, expurgé de toute dépense à connotation politique pour éviter une coagulation des oppositions, il reste indispensable au fonctionnement du pays. Et pour cause : c’est par lui que l’exécutif reçoit l’autorisation des représentants du peuple de percevoir les impôts. On l’a un peu oublié mais en 1789, on a fait la Révolution pour ça. Le consentement à l’impôt est un élément essentiel de notre démocratie, consacré par l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le gouvernement ne peut pas se passer ici de l’accord parlementaire.

🩸A moins que la navette entre l’Assemblée et le Sénat traîne en longueur et dépasse les 70 jours… Dans ce cas, l’exécutif reprend la main et, d’autorité, met en œuvre le PLF par ordonnances. On peut imaginer un blocage en commission mixte paritaire, réunissant les protagonistes parlementaires du texte, et un enlisement des débats. Depuis 1959, il y a déjà eu des dépassements de ce délai d’un ou deux jours, mais le gouvernement n’a jamais usé de la faculté offerte par l’article 47 de la Constitution. N’oublions pas non plus qu’il faut laisser un délai raisonnable au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur le texte en fin d’année… Le Parlement n’entend bien sûr pas se priver de sa compétence budgétaire.

🩸Pour obtenir l’aval de la représentation nationale sur la question essentielle des impôts, le gouvernement dispose de deux cartes dans sa manche : demander un vote séparé sur la première partie du PLF – les recettes – ou, à défaut d’accord sur ce point, revenir à la charge en mettant au vote une loi de finances spéciale qui l’autorise à lever les impôts existants. La manœuvre aurait l’avantage de reporter l’examen de la deuxième partie du PLF, la plus urticante, celle dédiée aux dépenses. Elle permettrait aussi au Premier ministre de signer des décrets de « services votés », soit les crédits minimums que le gouvernement juge indispensables pour poursuivre l’exécution des services publics – comme payer les salaires des fonctionnaires – dans les conditions approuvées l’année précédente par les deux chambres.

🩸Est-ce dans l’intérêt du Parlement d’aller jusqu’à priver l’État de tout moyen d’action ? Je ne le crois pas mais on ne peut l’écarter. S’il advenait, ce double blocage, inédit sous la Ve République, conduirait le pays dans l’impasse. Le rejet du budget aurait l’effet équivalent à celui du vote d’une motion de censure. Avec pour conséquence immédiate la démission du gouvernement. Un chaos fiscal doublé d’une crise institutionnelle. Funeste cocktail.

🩸Le pire n’étant « pas toujours sûr », comme l’écrivait Paul Claudel, certains juristes ont évoqué ces derniers jours le recours possible du président de la République à l’article 16 de la Constitution qui le dote de « pouvoirs exceptionnels » en cas de menaces graves et immédiates sur « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux. » Une hypothèse que l’on peut balayer selon plusieurs constitutionnalistes : « On parle trop légèrement de l’article 16. D’abord, il n’est pas fait pour répondre à un couac budgétaire mais à un coup d’Etat ou à une guerre. Ensuite, avant de pouvoir être mis en œuvre, il doit faire l’objet d’un avis du Conseil constitutionnel, immédiatement rendu public, qui aurait alors une magnitude politique colossale. Si les Sages disaient non au président, ce dernier s’exposerait très sérieusement à une destitution. » Le Conseil constitutionnel se ridiculiserait s’il admettait que le président puisse en passer par là pour faire adopter un simple budget. La souplesse du Conseil et son sens de l’Etat sont bien connus. Mais en l’espèce, cette position serait vraiment difficile à tenir…

🩸La voie législative reste donc la seule qui vaille pour que la France se dote d’une loi de finances. Avec un dernier handicap, un de plus, par rapport aux procédures habituelles : le recours à l’article 49.3 de la Constitution est désormais vidé de sa substance. Grâce à lui, le Premier ministre peut faire passer un texte sans vote en engageant la responsabilité de son gouvernement. En temps normal, c’est un dispositif utile pour souder une coalition parlementaire hétéroclite. Parce qu’il y a un revers de la médaille : en cas de motion de censure, l’Assemblée peut être dissoute par le président de la République, ce qui oblige les députés à y réfléchir à deux fois puisqu’ils prennent le risque de devoir retourner devant les électeurs.
Pas cette fois. La cartouche ayant été grillée par Emmanuel Macron, les censeurs ont tapis rouge : aucune dissolution nouvelle n’étant possible avant un an, soit en juin 2025, ils seraient assurés de ne pas perdre leur siège si l’envie leur prenait, cet automne, de faire tomber le gouvernement.

🩸Un budget de tous les dangers : rarement formule galvaudée n’aura sonné aussi juste.


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