– Ne pas alourdir davantage le niveau de prélèvements obligatoires, même si des ajustements doivent être opérés à l’intérieur du périmètre,
– Réduire les dépenses qui ne sont pas productives de services publics ou redondantes,
– Introduire des innovations systémiques que la situation politique instable peut paradoxalement permettre.
Je propose ici un cinquième volet de réforme structurelle. Depuis cinquante ans en fait, avec une accélération au cours de ces dernières années, et une dimension quasi caricaturale depuis le Covid, nous avons fait le choix collectif d’une intervention publique forte pour garantir la consommation, au détriment de l’investissement, à partir d’un modèle de mondialisation qui permettait un accès à des biens produits à bas coûts dans le monde. La guerre d’Ukraine a mis un coup d’arrêt à ce modèle sans que nous ayons encore adapté notre modèle. Ce n’est plus tenable.
J’en expose les constats, enjeux et perspectives ci-après.
Les dépenses d’intervention dans le budget de la France s’élèvent à 280 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter les dépenses sociales.
Les groupes de pression de toute nature sécrètent des demandes d’intervention incessantes (infrastructures, réglementations, embauches, allocations sociales diverses…) porteuses pour eux d’un gain net en termes de bien-être. L’impôt et plus encore la dette financent ces charges sans vrais choix, le « quoi qu’il en coûte » ayant porté cette situation à son paroxysme.
On constate un mouvement permanent de hausse des dépenses porté par des mécanismes difficiles à enrayer. Seule, une redéfinition du périmètre des missions des administrations peut baisser la dépense ou redonner des marges de manœuvre pour la redéployer vers des services publics et surtout des investissements jugés plus essentiels.
Sur la période récente, la progression de l’intervention publique répond aussi à une demande de protection des agents économiques face aux risques sociaux et économiques (par exemple dépendance, énergétique, sanitaire). Ménages et entreprises sont devenus plus frileux aux risques et cherchent protections et aides publiques en cas de difficultés : à lui seul le récent bouclier énergétique a coûté près de 24 milliards d’euros. La hausse résulte aussi d’évolutions structurelles lourdes : accroissement de l’espérance de vie, hausse du coût de prise en charge de la santé et aujourd’hui le nécessaire appui à la soutenabilité environnementale.
En France, depuis plusieurs décennies, la progression des dépenses a été portée par les dépenses de prestations sociales. En 2021, elles représentent 45,5% des dépenses publiques alors que les dépenses d’investissement ne constituent que 6,3% du total.
En 1973, les dépenses de prestations sociales représentaient en France seulement 18,3% du PIB, 31,6% aujourd’hui. Un système de plus en plus protecteur a été installé. Pour ajouter aux paradoxes français, ce haut niveau de dépenses sociales permet aux pays de présenter un niveau d’inégalités de revenu stable et relativement faible à l’échelle mondiale depuis les années 1980.
Avec la fin de la mondialisation telle que nous la connaissions depuis 50 ans, le consommateur ne peut plus être l’unique préoccupation.
Contrairement à d’autres pays, la France n’a pas fait évoluer significativement le périmètre de ses administrations. Certes un travail de diagnostic a été réalisé en vue d’encadrer les dépenses et des actions conduites : citons la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) promulguée en 2001, ou la modernisation de l’action publique (MAP) à partir de 2012. Dans les faits, la France n’a fait, au mieux, qu’opérer parfois des transferts de compétences de l’État central vers les collectivités territoriales et les opérateurs. Les administrations doivent désormais se désengager de missions non stratégiques, réduire certaines dépenses sociales, pour se concentrer sur les services publics fondamentaux que sont la justice, la défense, la police, la santé et l’éducation.
Plusieurs expériences internationales de redéfinition du périmètre de l’État montrent en effet la possibilité d’agir sur les dépenses : celles du Canada dans les années 1990, de l’Allemagne au début du XXIe siècle ou encore de la Suède. Le cas suédois est sans doute le plus emblématique. Au début des années 1990, le pays était face à une crise bancaire et une dérive de ses finances publiques. Ces urgences poussent la Suède à réformer en profondeur son modèle de capitalisme (un régime d’État providence à visée universaliste). En 1993, le « rapport Lindbeck » montre à quel point la montée des administrations est devenue paralysante : triplement du nombre de fonctionnaires entre 1960 et 1990, poids des dépenses publiques (61% du PIB en 1990, porté à 71% au plus fort de la crise en 1993). Les réformes visent à alléger la protection sociale tout en augmentant le taux d’emploi. Le système d’indemnisation du chômage est modifié, le contrôle des chômeurs renforcé. En matière de dépenses, une priorité est accordée à l’éducation et à la recherche au détriment des transferts sociaux.
Les autorités suédoises réalisent de nombreuses coupes sociales, en réduisant le niveau des prestations, en désindexant les pensions de vieillesse et en rétablissant des jours de carence sans indemnisation pour l’assurance maladie et l’assurance chômage. La part des dépenses sociales dans le PIB a rapidement diminué passant de 22,2% en 1994 à 18,5% en 1997. Le nombre de fonctionnaires passe de 400 000 en 1993 à 250 000 en 2000. La croissance économique redevient positive en 1994, portée par la dépréciation monétaire et l’essor du commerce extérieur. Les déficits se réduisent une fois la reprise engagée. Le rapport dépenses publiques sur PIB diminue rapidement passant de 68% en 1994, à 56,8% en 1998, 50,65% en 2012 et 47,8% en 2019. L’expérience suédoise est riche d’enseignements. Elle démontre qu’un renversement de la hausse des dépenses est possible. Un consensus national s’est établi pour faire évoluer le modèle de capitalisme. Le consensus a peut-être été moins compliqué à obtenir du fait de la taille du pays. Le mode d’élaboration concertée et d’adoption des réformes a assuré leur appropriation par un ensemble large d’acteurs, facilitant leur caractère durable.
En France, le chantier de la redéfinition du périmètre des administrations, du redéploiement stratégique des dépenses ou de leurs réductions (via une responsabilisation des acteurs) doit enfin être ouvert.
Sur le papier, les questions à poser sont simples. L’État doit-il rester un opérateur dans certains secteurs ? À titre d’exemple, citons l’audiovisuel où l’offre est large et la somme de 4,5 milliards d’euros est en jeu. De même, les administrations doivent-elles toujours avoir une politique du logement qui mobilise en dépenses l’équivalent de 1,3% du PIB français alors que le moyenne dans la zone euro et l’UE et de seulement 0,7%. Ces interventions prennent la forme d’aides personnelles comme les aides personnalisées au logement (APL), de soutien aux logements sociaux, de prêts à taux zéro pour des ménages à revenus modestes, de dispositifs d’exonérations d’impôts sur l’immobilier neuf locatif… Ici les abus sont nombreux et les difficultés d’accès au logement restent entières (prix élevés, allocations de logement qui exercent un effet à la hausse de loyers…). À noter que pratiquement toujours une aide publique sectorielle fait augmenter les prix dans le secteur concerné.
De nombreux rapports (Cour de Comptes, France Stratégie…) identifient d’autres pistes pertinentes de réduction de dépenses non efficaces et qui auraient peu d’effets récessifs. La réforme des retraites a été identifiée comme l’une de ces pistes. Dans un rapport France Stratégie rappelle que la France consacre 3,4 points de PIB de plus que la moyenne des pays européens aux dépenses de retraites et de vieillesse. Les retraités français ont un niveau de vie supérieur à l’ensemble des autres Français et ils sont parmi les mieux lotis en Europe de l’Ouest. Durant le débat sur les retraites de 2023, la question d’une simple désindexation des pensions n’a pourtant pas été abordée.
La croissance des dépenses publiques est portée par des mécanismes endogènes. Tous les pays doivent y faire face. Mais contrairement à certains pays comparables, aucune véritable réflexion stratégique n’a été menée sur le périmètre des administrations, la hiérarchisation de leurs missions et un redéploiement des dépenses sociales vers les services publics les plus essentiels – au risque d’une paupérisation des grands services publics. Pourtant, une vision stratégique de long terme sur les justifications et l’efficacité des dépenses publiques paraît utile. La France est désormais aux prises avec une crise de sa dette publique qui nécessite qu’elle trouve la force de réduire certaines dépenses, de redéfinir le périmètre de ses administrations et de redéployer des moyens vers le noyau dur des services publics et plus encore vers l’investissement, tout en se désendettant.
Voilà donc un cinquième volet de réforme qui ouvre le débat plus qu’il n’avance des solutions, parce qu’il faut de la pédagogie et de la concertation… mais il est « minuit moins cinq »! Si on ajoute à cela les besoins d’investissements dans les transitions numériques, climatiques et démographiques, et les besoins en matière de défense, ces décisions doivent être fortes, urgentes et courageuses, faute de voir notre modèle s’effondrer brutalement et notre souveraineté continuer à nous échapper.



