🏛️🌏🏛️ Le sursaut ou le déclin ?
Face à la fatigue générée par un débat budgétaire vain, j’ai voulu prendre un peu de champ pour regarder notre situation décidément bien peu enviable…
🌏 Faut-il vraiment s’offusquer du double miroir que nous ont présenté les Etats-Unis et la Chine ces derniers jours ?
Dans le miroir américain – la stratégie de sécurité nationale américaine publiée vendredi par la Maison-Blanche -, une Europe caractérisée par « son déclin économique, et encore plus par la perspective réelle et plus abrupte d’un effacement civilisationnel ».
Dans le miroir chinois, celui présenté par Xi Jinping à Emmanuel Macron à l’occasion de sa quatrième visite d’Etat la semaine dernière, une Europe « percutée par la Chine au coeur de son modèle industriel et d’innovation », selon les termes mêmes du président français dans un entretien accordé aux « Echos ».
🌏 Faut-il traiter par le mépris et l’indifférence ces reflets de nous-même ? Ou y puiser, au contraire, la force d’un sursaut, comme nous y ont invités cette semaine 34 dirigeants de filiales françaises de groupes étrangers : « Ne nous empêchez pas de choisir la France ! » Car dans cette Europe affaiblie et désormais regardée de haut par les nouveaux empires prédateurs, la France fait figure de bonnet d’âne. L’inconséquence de nos politiques et l’indigence des débats budgétaires (avec un couperet qui doit tomber demain à l’Assemblée nationale sur le PLFS) – qui laissent à croire que notre pays peut dépenser plus, imposer davantage et travailler moins – étonnent et désespèrent nos partenaires. Même si la Commission européenne semble enfin prendre conscience de la nécessité d’en finir avec sa naïveté mortifère, et si Emmanuel Macron établit le bon diagnostic, c’est aux Français qu’incombera la responsabilité des choix futurs. Les Américains nous proposent une annexion idéologique, les Russes une allégeance militaire, les Chinois une dépendance économique.
🌏 La semaine écoulée restera-t-elle dans les livres d’histoire comme symbolique d’un monde qui est en train de devenir toujours plus post-occidental ? Les images en provenance de Pékin et de New Delhi se répondent dans un kaléidoscope d’impressions qui mènent toutes à la même conclusion : le centre de gravité du monde s’est déplacé vers l’Asie. C’est une chose de le savoir. C’en est une autre de le voir. Hasard des calendriers diplomatiques, Emmanuel Macron était donc à Pékin, au moment où Vladimir Poutine arrivait à New Delhi. Le président français espérait (sans doute en vain) que la Chine pourrait exercer des pressions sur la Russie pour que cette dernière soit plus proche d’un compromis sur la question ukrainienne.
🌏 En recevant Poutine, comme si de rien n’était (comme si les bombardements russes sur l’Ukraine ne s’intensifiaient pas), le Premier ministre indien faisait passer un message d’une tout autre nature : « Je ne suis pas prêt à prendre mes distances avec Moscou. » Il est à craindre que le message de Xi Jinping à Macron soit de la même nature que celui de Modi au monde occidental : « La guerre en Ukraine, c’est votre problème, ce n’est pas le nôtre. » Le monde occidental n’a pas seulement perdu (depuis longtemps désormais) le monopole des modèles. Il ne parvient plus à imposer son agenda diplomatique (pour peu qu’il en ait un à l’heure de Donald Trump II). Le Sud global (quelle que puisse être sa réalité, compte tenu des profondes différences qui existent entre ses membres) est trop heureux de « nous » rappeler que les temps ont changé.
🌏 Pourquoi la Chine aujourd’hui, prendrait-elle le risque de fâcher une Russie qui a l’impression que le temps joue en sa faveur ? Et qu’elle possède les meilleures cartes, avec l’Amérique dans le rôle de « l’idiot utile », et l’Europe dans celui du « spectateur engagé » ? La guerre en Ukraine, pour peu qu’elle soit contenue et ne débouche pas sur une escalade généralisée (qui serait dangereuse pour l’économie mondiale), sert plutôt les intérêts de Pékin. Tout comme la présence à Washington d’un président totalement imprévisible, qui en affaiblissant l’Amérique, en déstabilisant la notion même d’alliance, sert objectivement les ambitions de la Chine.
🌏 En démantelant la démocratie américaine, Donald Trump II fait le jeu des autoritarismes et des populismes. Il semble apporter la preuve que l’histoire, comme on le dit à Pékin, comme à Moscou, appartient aux régimes autoritaires. « La démocratie ? Laissez-moi rire. Même l’Amérique n’y croit plus, et ne la pratique plus. » Et ce n’est pas une France – incapable de faire voter son budget – qui peut exercer la moindre influence réelle sur un empire du Milieu qui ne s’est jamais senti plus central depuis plus de deux siècles peut-être. Contribuer à la marge (pour l’essentiel Trump s’en charge) à élargir le fossé qui se creuse entre les deux rives de l’Atlantique est bien sûr dans les intérêts de la Chine. Mais pourquoi prendrait-elle ses distances avec la Russie, pour faire un cadeau, au-delà de la France, à une Europe qu’elle respecte de moins en moins (pour ne pas dire qu’elle méprise de plus en plus) ? Plus que jamais fière de son passé, plus que jamais confiante en son avenir, la Chine tend à regarder de haut ces Européens qui s’agitent à ses pieds.
🌏 L’Amérique de Donald Trump II fait plus de bruit qu’elle ne fait peur. Ni à Pékin (Washington a plutôt perdu l’épreuve de force engagée avec la Chine sur la question des tarifs douaniers). Ni à Moscou : le maître du Kremlin n’a rien cédé sur l’Ukraine au locataire de la Maison-Blanche. Le pied de nez de Modi à Washington, en recevant Poutine en Inde, et les distances (polies) de Xi Jinping à l’égard de Macron s’inscrivent dans un même moment historique. Le monde est passé à l’Est. Certes, la Chine pourrait profiter de la dérive de l’Amérique et de l’absence de l’Europe, pour se présenter au monde, comme son nouveau pilier de rationalité et de modération. Mais en éprouve-t-elle même le besoin ?
🌏 En 1954, Charles de Gaulle écrivait dans ses « Mémoires de guerre » que « la Providence a créé la France pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires », et que lorsque la médiocrité nous gagnait, il y voyait « une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français ». A nouveau, nous sommes à l’heure des choix.






