◼️ Propos du chef d’état-major des armées devant les Maires : éveiller les consciences sans effrayer.
▪️ « C’est en reconnaissant la réalité de la guerre et en nous y préparant que nous pourrons l’éviter ! » avertit Cédric Perrin, mon collègue Sénateur du Territoire de Belfort, Président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat. Il faut que nous nous en imprégnons tous.
▪️Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les autorités françaises – à l’instar d’autres gouvernements européens – déploient un discours récurrent pour préparer les esprits des Français à la possibilité d’une guerre sur fond de menace russe et de positions mouvantes de l’allié américain. Celui-ci est en effet désormais tourné vers la défense de Taiwan, qu’il considère menacé dans le même calendrier (2027 – 2030), et non vers la défense de l’Europe qu’il a enjoint de s’organiser par ses propres moyens. Les allemands viennent d’y répondre en décidant d’un effort d’investissement sans précédent dans ce domaine.
La France doit « se préparer à l’hypothèse d’un engagement majeur de haute intensité dans le voisinage de l’Europe à horizon 2027-2030, parallèle à une hausse massive des attaques hybrides sur son territoire », résume ainsi la Revue nationale stratégique de 2025. Le gouvernement a d’ailleurs publié hier le guide « Tous responsables », conçu par le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) pour réagir à un large éventail de risques (qu’ils soient naturels, technologiques et industriels ou sanitaire) et de menaces (cyberattaque, désinformation, terrorisme, engagement majeur de nos forces armées en dehors du territoire national).
▪️Si ce contexte est connu, la récente déclaration sur le sujet du chef d’état-major des Armées, le général Fabien Mandon, devant les Maires de France, a provoqué un coup de tonnerre.
D’autant que, selon le journal « l’Opinion », il a travaillé, à la demande du Président de la République qui devrait en faire prochainement l’annonce, à l’instauration d’un service militaire basé sur le volontariat. Baptisé « service national » et d’une durée de dix mois ; il pourrait concerner chaque année 10 000 jeunes majeurs volontaires à l’horizon 2030, jusqu’à 50 000 en 2035. Il serait articulé en amont avec la journée défense et citoyenneté renommée journée devmobilisation, et en aval avec la réserve opérationnelle.
▪️ « On a tout le savoir, toute la force économique et démographique pour dissuader le régime de Moscou (…). Ce qu’il nous manque, et c’est là où vous avez un rôle majeur, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est », a déclaré le général Mandon mardi devant le Congrès des maires de France. Les militaires, souvent « jeunes », « tiendront dans leurs missions s’ils sentent que le pays tient avec eux. Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à
accepter de perdre ses enfants (!), parce qu’il faut dire les choses, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production défense, alors on est en risque », a-t-il explicité. « La mécanique, ce n’est pas des chars russes qui débarquent en Alsace. La mécanique, c’est une mécanique de solidarité, avec des pays qui sont aujourd’hui sur le flanc est de l’OTAN, qui pourrait être attaqués, et qu’on ira protéger par solidarité. Et à partir du moment où on s’engage par solidarité, à ce moment-là, on engage les jeunes femmes et les jeunes hommes qui ont choisi de servir sous l’uniforme », a complété celui qui a « donné aux armées un objectif d’être prêts d’ici trois à quatre ans ». En attendant, « on est dans le moment où il faut en parler. Il faut en parler dans vos communes », a conclu le général Mandon. Pour lui, « si nos ennemis voient notre détermination à nous défendre, à protéger ce que nous portons comme valeurs, comme histoire, ils iront voir ailleurs. Car ils savent que nous sommes plus forts. Mais il faut en faire la démonstration. Et c’est dans les trois années qui viennent ».
▪️Les Ukrainiens ne résistent pas parce qu’ils sont mieux armés ou plus nombreux, mais parce qu’ils font preuve d’une résilience nationale exemplaire. Notre objectif n’est pas, et ne sera jamais, de courir à la guerre, mais d’être suffisamment solides et préparés pour être dissuasifs.
▪️Ces propos, inquiétants, anxiogènes, ne font que suivre ceux déjà tenus devant les parlementaires par le même chef d’état-major, mais aussi par tous les chefs d’état-major des armées des pays européens. Ils s’inscrivent aussi dans la droite ligne de ce que le Président de la République a déclaré le 13 juillet dernier lors de son traditionnel discours aux armées lorsqu’il a appelé « à bâtir un pilier européen de l’Otan » face à « l’aggravation des menaces » internationales.
▪️En s’engageant au sein de nos forces armées, les hommes et les femmes qui les composent ont fait un choix grave, le plus noble qui soit : en conscience, ils ont accepté de risquer leur vie pour le service de la patrie.
Jamais la France ne devra faire preuve d’une quelconque forme de légèreté vis-à-vis de cet engagement. Jamais elle ne pourra, comme le fait le gouvernement russe en Ukraine, considérer la vie de ses soldats comme quantité négligeable et réduire leur sacrifice à un simple instrument.
Militaire d’expérience et de qualité, qui s’est toujours montré soucieux des hommes qui servaient sous ses ordres, le Général Mandon le sait mieux que quiconque.
Son discours prononcé lors du Congrès des Maires résonne certes durement à nos oreilles civiles, mais il nous rappelle ce qu’est la réalité de la guerre. Une réalité que connait chaque militaire et que d’autres, demain, pourraient vouloir nous imposer.
Ses propos doivent être entendus pour ce qu’ils sont : une invitation à ne pas détourner le regard et à voir en face les menaces qui pèsent sur notre pays et sur notre continent. Une invitation à nous y préparer, en nous renforçant tant matériellement que moralement.
Non pas pour hâter la guerre, mais au contraire, pour en conjurer le spectre !
▪️Lorsque d’autres responsables administratifs ou judiciaires informent et alertent face à la montée du terrorisme ou du narcotrafic, ils sont dans le même rôle de lanceur d’alerte afin que notre société, nos politiques, s’adaptent à cet environnement menaçant, effrayant.
La responsabilité des militaires, avec le soutien des politiques, est d’anticiper les menaces, même si nous espérons tous qu’aucune ne se réalisera. Ceux qui savent — ou qui sont informés — ont le devoir de s’exprimer pour alerter. Car la guerre a changé : elle est désormais hybride, numérique, cyber, informationnelle.
▪️En l’espèce, il est évident que si nous devons renforcer notre prise de conscience et notre posture, mais aussi nos décisions, comme nous le faisons en augmentant substantiellement les moyens budgétaires que nous consacrons à notre défense. Pour autant, il est bien évident qu’il ne faut pas entendre non plus dans ce message un appel à envoyer des troupes, des appelés, « nos enfants », sur un terrain de combat à l’est de l’Europe. C’est sans doute ces mots insupportables qui ont suscité autant de réactions. Donc, écartons l’inquiétude légitime de chacun pour ses propres enfants, mais retenons le risque géopolitique et la nécessité de renforcer notre défense et notre patriotisme, et cessons les procès d’intention qui sont indignes. Si certains avaient décidé de jouer avec les peurs et de s’ériger en Machiavel, ce serait d’une gravité sans précédent. Je ne peux y croire.
▪️Relisons Marc Bloch : L’Étrange Défaite raconte l’aveuglement et l’impréparation qui nous ont conduits au désastre. Quitte à avoir tort à moyen terme, notre responsabilité aujourd’hui est de donner à nos armées les moyens de défendre nos concitoyens.
De Gaulle nous avait prévenus : « L’aveuglement d’une nation qui refuse de voir monter la menace prépare toujours les défaites les plus lourdes. » « La sécurité ne s’hérite pas : elle se construit, elle s’organise, elle se prépare. En 1939, nous n’étions ni prêts, ni unis. »
À méditer.



