🏛️ Un délire social français : notre dette sociale.
👉 Tous les plongeurs le savent : l’ivresse des profondeurs menace à 30 mètres sous l’eau. Elle devient inévitable à 60 mètres, freinant les réactions, troublant la vision, altérant les capacités intellectuelles. Parfois, le plongeur finit par ôter son masque. La France semble atteinte par cette étrange narcose à l’azote. Plus le pays s’enfonce dans une dette abyssale, plus il fait n’importe quoi.
👉 Le délire atteint son sommet avec la Sécu et son financement. Une institution méconnue, qui emploie une poignée de hauts fonctionnaires dévoués et compétents, symbolise à elle seule l’ampleur de la folie : la Cades, ou Caisse d’amortissement de la dette sociale. Ce bijou français n’aurait jamais dû exister. C’était le fruit d’un accident de l’histoire. C’est du moins ce que croyaient ceux qui l’ont imaginé et qui témoignent dans le livre que vient de publier Nicolas Dufourcq, le patron de la banque publique Bpifrance : « La Dette sociale de la France », aux éditions Odile Jacob.
👉 L’histoire commence en avec trois événements à l’origine de ce cocktail bizarre. D’abord, la guerre du Golfe et la récession de 1993, qui font basculer la Sécurité sociale dans le rouge – une première. Ensuite, une crise financière qui débouche sur la mode de la « bad bank » où on cantonne les dettes. Enfin, la création d’un impôt efficace en 1991, la CSG, sur lequel sera calquée la CRDS.
👉 S’il est normal qu’un Etat emprunte pour préparer l’avenir, il est aberrant qu’une assurance sociale accumule de la dette. C’est pour cette raison que les technocrates de l’époque imaginent une mécanique pour dissoudre cette aberration. Une caisse est créée pour héberger 45 milliards d’euros de dette sociale. Elle remboursera avec l’argent venant d’un impôt de 0,5 % sur les revenus, calqué sur la CSG : la CRDS. Un impôt qui apparaît sur la fiche de paie : il faut que ce soit douloureux pour ne plus recommencer. Enfin, la caisse doit fermer ses portes en 2009.
👉 Las ! La récession n’était pas exceptionnelle. La bulle Internet éclate en 2000, une violente crise financière secoue la planète en 2008, l’épidémie de Covid met l’économie à l’arrêt en 2020. A chaque fois, le Gouvernement et le Parlement font sauter les puissants verrous qui protégeaient la caisse pour y remettre de la dette.
👉 Depuis 1996, la Cades a été « rechargée » six fois. Son extinction a été repoussée à 2014 dès 1998, puis en 2025 après la crise financière de 2008, puis en 2033 lors de l’épisode Covid. Les parlementaires ont complété ses ressources à la façon des Shadoks. Avec une part de la CSG qui, du coup, manque à la Sécu. Et une part du Fonds de réserve des retraites. « On a inventé la capitalisation qui finance le passé », ironise Nicolas Dufourcq. Aujourd’hui, la Cades a… 145 milliards à rembourser (chiffre à mi-2025), trois fois plus qu’à sa création. Certains la comparent à l’alcoolique incapable de renoncer à un autre verre, d’autres à Sisyphe remontant inlassablement son rocher. C’est sûr tout le signe du manque de courage et des errements de notre système social.
👉 Depuis le Covid, le système est encore plus délirant. Car un gros déficit de la Sécu s’incruste, autour de 20 milliards d’euros par an. La faute au vieillissement de la population, à la hausse des dépenses (« Ségur de la santé » non financé), aux allégements de cotisations voulus par le gouvernement. Il va falloir à nouveau remettre de la dette dans la Cades et la prolonger.
👉 En attendant, les dettes s’accumulent à l’Acoss, qui gère la trésorerie de la Sécu. Le Parlement est obligé chaque année de remonter son plafond d’emprunt – 65 milliards en 2025, 89 milliards prévus en 2026, pour éviter la rupture de paiement. L’Acoss n’ayant pas le droit d’emprunter à plus de deux ans, elle risque de ne pas trouver d’argent à lever en cas de tensions sur les marchés. Pointé à plusieurs reprises par la Cour des comptes, ce risque de liquidité pourrait déboucher sur un « shutdown social », qui a failli se concrétiser en avril 2020.
👉 Et même si la Cades récupérait cette dette, le problème ne serait pas réglé car les montants en jeu sont tellement élevés que ses recettes ne suffiraient plus à l’amortir. Il faudra donc encore pomper de l’argent ailleurs. Avec une croissance faible, des recettes anémiées et des dépenses incontrôlées, cette mécanique va exploser. Au risque de faire sombrer le modèle social français pendant que nous débattons de mesures cosmétiques au lieu de nous attaquer aux vrais problèmes qui minent et ruinent notre système.
👉 J’interviendrai cet après midi en ouverture du débat sur la dette qui se tiendra au Sénat pour dénoncer cette situation et proposer des réponses. Nous débuterons ce mercredi l’examen du PLFSS au Sénat qui doit permettre de réduire le déficit porté au cours des débats à l’Assemblée nationale à plus de 25 milliards d’euros et surtout enfin nous inscrire dans une trajectoire qui prohibe toute dette pour financer notre protection sociale.





