POINT DE VUE : Les leçons d’un scrutin historique.

A l’échelle du pays, la mon…

2 juillet 2024

⚫️ POINT DE VUE : Les leçons d’un scrutin historique.

A l’échelle du pays, la montée des extrêmes ne préjuge pas de ce qui adviendra, mais révèle une situation pressentie comme inédite, inconcevable et préoccupante pour nombre de citoyens, plus d’un Français sur deux se déclarant inquiet pour les semaines et mois à venir. Pour autant, si le vote du second tour, au niveau national, confirme la vague qui a porté le Rassemblement national aux européennes et au premier tour des législatives de ce 30 juin, l’inquiétude des Français n’empêche pas plus d’un citoyen sur trois de le porter en tête, et de placer en deuxième position une alliance du Nouveau Front Populaire dont la composante majeure n’est autre que La France Insoumise, qui en effraye d’autres. Heureusement la situation cantalienne est tout autre, confirmant une fois encore notre esprit civique et républicain. Mais, si nous n’y prenons pas garde, cela se produira un jour aussi sur nos terres pompidoliennes. C’est pourquoi il est urgent d’agir…

Ces législatives consacrent la mise à l’écart de la génération qui a changé la France. Elle a porté avec passion l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, elle a cautionné tour à tour ses successeurs, avant de reconnaître en Emmanuel Macron, qui aurait pu être leur petit-fils, le révolutionnaire qu’il proclamait être, pour l’installer à l’Élysée en 2017. Mais, derrière Johnny, Birkin et Hardy, cette génération se retire.

C’est un tournant d’ampleur auquel est aujourd’hui confrontée la société française. Par imitation des États-Unis de Trump ou de l’Angleterre du Brexit, certains parlent de tournant populiste. En référence à l’histoire française ou européenne, d’autres parlent d’un tournant néonationaliste. C’est dire l’ampleur de la rupture en cours, et cela explique la violence et l’emphase des mots, alors que « le peuple », comme acteur politique, « l’État-nation » et « la patrie » avaient été décrétés morts par les boomeurs. Il est à ce stade difficile de savoir si la nouvelle génération et son idéologie vont s’emparer durablement de l’État et imprimer leur marque à la société, mais c’est à ce genre de prémices auxquels nous pourrions avoir affaire.

Parmi les enseignements historiques de cette élection, on peut retenir que la marche de l’histoire s’accomplit à l’aveugle. Les hommes font l’histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font. La violence du choc est d’autant plus forte, lors de chaque rupture générationnelle, que les générations antérieures sont incapables d’imaginer une alternative à leurs pratiques, à leurs convictions de jeunesse, devenues certitudes puis préjugés ! Le président Macron, dernier fondé de pouvoir des boomeurs et homme le mieux informé de la République, a cru audacieux de renvoyer son Parlement à la suite des européennes, dans l’espoir de retrouver une majorité à sa main. Mais les Français, contre son espoir, comment aurait il pu en être autrement dans cette précipitation, n’ont pas hésité à mettre en péril les Jeux olympiques qui ne sont pas « leur » problème. Le sort de millions de vies quotidiennes, devenues âpres, difficiles et parfois sans issue, a été naïvement mis en équation avec les jeux mondiaux. Bienheureux riches et puissants pour lesquels la vie des pauvres est un « récit » dont il faut de temps en temps feindre de s’affecter, mais qui n’ont aucune aptitude à « sym-pathiser» (souffrir avec) au spectacle de leurs vies. C’est un travers des appareils de pouvoir que d’être gagnés par la cécité, suivant la célèbre formule « s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent des brioches », actualisée lors des européennes par « s’ils ont du mal à rouler au diesel, qu’ils achètent une voiture électrique ».

On ne saurait accabler les seuls dirigeants du camp présidentiel, car cela vient de loin, de renoncement en renoncement, mais cela s’est tellement accéléré et amplifié depuis sept ans… Comment, dans un pays qui a connu depuis 2018 une demi-douzaine d’insurrections d’ampleur nationale contre les politiques d’État, ignorer la souffrance et la radicalité croissante des classes populaires et moyennes appauvries, qui composent 80 % de l’électorat ? Les « gilets jaunes » ont donné le signal, la prise de l’Élysée ayant même été rendue possible l’espace d’un samedi jusqu’à faire envisager la fuite du président. Malgré leurs demandes, les Français sont interdits de référendum, un vote sur une question simple quand les élections générales abordent tous les sujets. Ce signal fut négligé.

Ce tournant historique est le déni des élites quant à la réalité des conditions de vie des Français. Elles n’ont pas anticipé ni ne semblent comprendre ce qui s’est joué à travers la désindustrialisation du pays. Or la smicardisation des classes moyennes et le chômage de masse des catégories populaires ont eu des conséquences redoutables. Conscients de la souffrance sociale de masse depuis les « gilets jaunes » (aggravée par l’inflation post-guerre en Ukraine) et de leur impuissance à y remédier, les pouvoirs publics ont construit à coups d’enquêtes, de biais statistiques et d’analystes complaisants le récit suivant : la réindustrialisation de la France est en marche depuis 2017 ; le plein-emploi est recouvré ; le pouvoir d’achat des Français est maintenu ; les comptes publics sont tenus. Une rapide analyse des faits établit que tout cela est très excessif, voire faux.

Or, le noyau dur des élites parisiennes a pris ces dires pour des réalités, car c’est moins le réel qui leur importe qu’un récit rassurant auquel elles veulent croire. Comme souvent, la pensée dominante euphémise la situation, ce qu’aggrave en France l’ignorance des faits économiques. Les catégories populaires, souvent coupées des grands médias d’information, savent ce qu’il faut penser de leur situation économique et de celle de leurs proches. Ce scrutin révèle les conséquences électorales d’une forme d’insouciance des classes dominantes, parfois qualifiée de dissidence. La création de deux millions d’emplois précaires, peu payés (économie ubérisée et portage à domicile) ne peut se substituer à des centaines de milliers d’emplois industriels et agricoles disparus. Le sort des travailleurs n’en est pas amélioré ni leur nombre accru.

Un vieux principe « bismarckien » repris par la IIIe République établissait qu’il « vaut mieux s’occuper des pauvres avant qu’ils ne s’occupent des affaires politiques ». La mondialisation heureuse des élites le leur a fait oublier.
Pour ces raisons structurelles, il est peu probable à ce jour qu’un dimanche en déjuge un autre.

Ce point de vue est très inspiré des analyses de Pierre Vermeren, normalien, agrégé et docteur en histoire, qui est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages remarqués, comme « La France qui déclasse. De la désindustrialisation à la crise sanitaire » et « L’Impasse de la métropolisation », mais aussi des travaux que j’ai souvent partagé ici de Christophe Guilluy ou de François Jullien.

Comment trouver les moyens de reconnecter avec les électeurs ruraux et périurbains, en répondant à leurs préoccupations économiques et sociales.
À l’image du Grand Canyon, les deux rives de cette séparation politique pourraient continuer à s’éloigner, entérinant ces deux France dont les vues, les besoins et les envies sont non seulement différents mais souvent contradictoires.

Les législatives entérinent la fracture entre la France des métropoles et le reste du pays.
Nous sommes nombreux à la dénoncer depuis longtemps.
Faisons que cet épisode nous permettre de la comprendre et surtout enfin d’y répondre.

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